domaine de frévent

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vendredi 23 janvier 2015

Matin de glace


Inutile d’ouvrir la porte pour s’apercevoir qu’il gèle à pierre fendre ce matin. La terre fraîchement retournée par un jardinier prévoyant de la veille, expose ses mottes de couleurs claires. Hier encore, elles étaient gorgées d’eau et marron foncé. Pour avoir confirmation, je jette un œil à mon thermomètre extérieur qui affiche la température au plafond de la cuisine… 4 degrés sous le zéro. Les chiens doivent avoir froid, et c’est pour cela qu’ils ne sont toujours pas sortis de leur box. Je les imagine blotti l’un contre l’autre pour se tenir chaud sur une épaisse couche de paille. Je vais les nourrir et surtout, verser de l’eau chaude dans leur abreuvoir qui doit être gelé.
Après un bon bol de café et une grosse tartine de pain beurré, je sors dans ce monde de glace. Je marche sur les cailloux de la cour qui croustillent et qui scintillent sous la lumière artificielle. Mes pieds éclatent la fine pellicule de glace qui les recouvre et qui les colle un à un. Je m’arrête un moment pour apprécier cette atmosphère où toute la création semble s’être figée.
Je suis certainement à cet instant le seul point chaud apparaissant sur les écrans radar. Les oiseaux ne chantent pas, ils sont transis de froid. Même les corneilles se sont tuent. Le silence est assourdissant d’autant qu’il n’y a pas le moindre souffle de vent. Le monde de la nuit n’est pas encore rentré se cacher et celui du jour commence à sortir lentement.

Malgré mon écharpe, le froid arrive à se glisser sur ma poitrine par un entrebâillement de ma veste. Je me contracte et laisse passer de légers frémissements sur mes épaules. Mes bras commencent aussi à trembler alors après avoir colmaté la brèche en resserrant mon col, je place soigneusement mes mains au fond de mes poches.
 
Je remarque, par les fenêtres éclairées, des silhouettes en mouvement dans certains gîtes, seul témoin de vie dans ce qui m’entoure. Ah non ! Je ne suis pas seul. Un campagnol est de sortie. Il coure le long des pavés de la terrasse en recherche de quelques miettes de pain. Puis il disparaît très vite derrière les hortensias, où il doit avoir son terrier dans la terre de bruyère. Il devrait se méfier, car le chat de la maison ‘James’ était de sortie tout à l’heure pour chasser. A cause du froid, il est déjà rentré (bredouille), mais ressortira plus tard.

Je me dirige vers l’abri où est entreposé le bois. Je prends deux bûches et je les dépose devant la porte-fenêtre pour alimenter la cheminée. Ce n’est qu’un chauffage d’appoint pour Frévent, mais c’est le moment de le faire fonctionner à plein régime. Ceci fait, je vais au chenil cette fois et je ne m’arrête pas. Sur le chemin, je remarque que l’étang est en partie gelé. Il faut plusieurs jours de grand froid pour qu’il le soit entièrement. Cela n’a pas l’air de perturber les oies, qui font leur toilette matinale. Point de notion de température pour ces palmipèdes qui s’ébrouent dans l’eau comme en pleine été. En revanche, quand la glace recouvrira la totalité de la pièce d’eau, elles devront prendre garde aux renards. Car c’est sur l’eau qu’elles se réfugient la nuit quand un prédateur approche. Je me demande dans quelle mesure un attaquant prend le risque de s’aventurer sur de l’eau gelée sans connaître sa résistance. Je suppose que cela dépend de l’intérêt qu’il porte à son festin. Il doit bien y avoir quelques ratés où la glace se casse et le goupil se noie.


De la buée se forme à chaque expiration de mon souffle. J’entre dans le bâtiment et j’ouvre la porte aux chiens. Tremblotant de froid mais aussi d’exaltation à l’idée d’un bon repas de croquettes revigorantes, ils viennent me manifester leur bonjour. Je leur sers une bonne ration et sans attendre, ils s’attaquent au déjeuner. Pendant qu’ils se goinfrent en espérant chacun finir premier, je m’occupe de l’abreuvoir.

Le jour se lève à peine, mais de là où je suis, j’ai un joli point de vue pour admirer les toitures du domaine entièrement recouvertes de gelée blanche. Les fumées de cheminée s’élèvent sur fond de grands chênes dénudés. Les volutes qu’elles forment se dissipent dans une brume d’altitude. Pas un souffle d’air ne les dérange.

Puis je passe à la ménagerie…Poules, dindes, paons sont encore sur leur perchoir, car la luminosité n’est pas encore assez intense pour leur acuité visuelle.
J’ouvre les grilles des volières et dépose à chacun une ration de grain.

En regardant le jardin sans vie, je décide de m’aventurer en forêt pour vérifier si tout est en ordre. Peut-être vais-je y rencontrer quelques sauvageons, où pire… des marcheurs blancs ! Même pas peur, j’emmène les chiens avec moi. Ce qui ne constitue pas une protection, bien au contraire. A peine sortie, les deux molosses courent dans tous les sens en recherche d’une odeur attrayante. Plus rien alors ne semble atteindre leurs neurones concentrées exclusivement sur les effluves du sol. Je les perds vite de vue. Je les appelle, mais ils n’entendent déjà plus. Heureusement que le domaine est clôturé, ils taperont vite dans le grillage et reviendront sur leur pas.

Après un bon quart d’heure de marche qui m’a réchauffé, je décide de rentrer au bureau pour y effectuer quelques tâches administratives… et vous écrire un peu. Les chiens reviennent essoufflés avec de l’écume aux lèvres. A peine entrés au chenil, ils se précipitent sur l’abreuvoir pour se désaltérer, puis se couchent dans leur box pour se reposer.

Arrivé au bureau, je me dévêtis et laisse la chaleur ambiante de la maison m’envelopper de douceur. Je sens mon corps se détendre. La peau de mon visage qui elle, a pris le froid sans couverture, reste tendue. Je m’assois devant l’ordi. avec une lampe allumée sur le côté, et je me sens bien. Avec les idées bien fraîches, l’inspiration ne me manque pas pour vous raconter ainsi ma petite virée matinale.

Hervé


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