domaine de frévent

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samedi 24 septembre 2016

La danse du druide




Une goutte de rosée se détache du bout d’une fougère pour venir se perdre dans l’herbe. Les rayons du soleil traversent la canopée en dessinant des lames de brume qui viennent frapper le sol.
Comme bien souvent ici au lever du jour, le silence règne en maître. L’espace est un peu plus bruyant à l’intérieur de la maison car plusieurs petites mains s’activent sur le plan de travail de la cuisine. Enfin plusieurs, disons deux, nous ne sommes pas à l’hôtel ‘Bristol’. Mais il semble bien qu’à elles deux, elles se préparent à parcourir autant de distance dans la pièce que si elles étaient dix.
Les paniers des cabanes sont alignés comme des soldats sur la table de préparation. Les deux petites mains sont encore à cet instant, hésitantes et semblent attendre un départ. Il leur manque certains ingrédients pour se mettre en mouvement dans une course effrénée qu’elles connaissent par cœur. L’ambiance est tendue car au bout du compte, les horaires doivent être respectés.


C’est à ce moment-là que moi, je prends mes distances pour aller chercher les pains et viennoiseries destinées à garnir les petits déjeuner. Je pourrais y aller à pied, mais je préfère prendre la petite voiture, c’est plus reposant et ça me laissera plus de temps pour taper la discute avec mon ami Jean-Marc.
Jean-Marc c’est le petit traiteur qui me prépare pains brioches et croissants de façon à ce que les produits sortent du four à huit heures tapante et soient bien chauds et croustillants en arrivant à la maison. Dans les rues encore silencieuses du village, on parle de tout et de rien comme de la météo, des chiens écrasés, de la vie en générale quoi. Quelques fois on s’emballe sur l’administration ou la politique et tout le monde en prend pour son grade, mais à ce moment-là, on commence à prendre du retard et ce n’est pas bon pour la suite! 

De retour à Frévent, j’entre à nouveau dans la maison, les bras chargés de mes denrées fromentées. Les vêtements amples de la cuisinière tourbillonnent dans la pièce et restant derrière la porte d’entrée, j’assiste en spectateur à une véritable - danse du druide
Dans une atmosphère tamisée par les émanations, les arabesques s’enchainent sur un parcours dissymétrique qui occupe la scène de long en large et serpente autour des principaux équipements de restauration. Cette silhouette légère passe ainsi de l’évier au vaisselier puis de la gazinière au four, du frigo à la table de préparation. Les pas sont enlevés et glissent langoureusement sur le sol en terre cuite qui vient d’être cirée. Gestes précis emportant sur leur passage sucre, beurre, chocolat, confiture. Autour de ces envolés comportementales, le café s’écoule lentement inondant la pièce de son odeur particulière, la bouilloire siffle laissant s’échapper une vapeur qui se disperse au plafond, le lait commence à frémir légèrement dans la casserole sous l’œil attentionné de la druidesse qui de sa main délicate passe couper le feu avant que l’écume ne déborde.
Un demi tour énergique et c’est l’autre main qui ouvre le robinet de l’évier. Celui-ci coule à grande eau pour rincer une dernière fois les contenants isothermes des liquidités bouillonnante à emporter dans la forêt. Trois pas en avant sur la pointe des pieds pour consulter la fiche où elle a inscrit la veille, les choix des clients en matière de thé, café ou chocolat.

A chaque cabane, son panier. Les mains viennent y déposer les tasses, les cuillères, les couteaux. Index sur le bout du nez… Ne pas oublier les serviettes en papier ! 


Arrêt de mouvement, regard fixe au-dessus du panier pendant quelques secondes, puis le ballet reprend sa course. Les pirouettes se succèdent, mains positionnées en couronne horizontale, le menton relevé, dans un rythme implacable mais inaudible pour moi elle ouvre tiroirs et portes de placard pour se saisir de petits pots de verre qu’elle vient déposer en enfilade sur la paillasse de la cheminée. Elle se dirige ensuite vers le fond de la cuisine pour lâcher une larme de poudre de cacao dans une préparation de lait encore fumant qu’elle remue avec une cuillère en bois de laurier. Elle se retourne, tend les bras dans ma direction et s’avance vers moi comme une fée agitant ses ailes pour m’arracher des bras ce que je lui amenais avec fierté de ne pas l’avoir retardée dans son rituel.
Une suite de pas chassés emmène mon fardeau devant la cheminée. Les croissants et brioche fumantes ainsi que le pain sont étalés sur une planche à trancher.
En position statique, la cuisinière remplit à présent les pots de confiture et de compote qu’elle a soigneusement préparée en quantité pour cette occasion. Toujours avec autant de grâce, elle les dispose délicatement au fond des paniers, suivi des morceaux de sucre et des petits paquets de beurre.

Elle continue sa danse chimérique faisant virevolter le foulard blanc qu’elle a dans les cheveux et les voilages de ces habits. Devant l’évier elle verse café, chocolat et thés dans les thermos qui garderont longtemps la bonne température de dégustation. Elle les referme soigneusement et les ajoute au contenu précédent. Le pain et les viennoiseries viennent finir de garnir ces paniers en osier qu’elle recouvre à présent d’un linge blanc.
Elle vient les déposer un par un à mes pieds, me soufflant à l’oreille la destination de chacun.

Le transporteur… c’est moi.

Et me voilà partie pour plusieurs aller/retour à travers bois pour permettre aux cabaneurs de se sustenter à l’heure qu’ils ont choisi. Chaque panier préparé dans cette farandole fantastique est accroché à son mousqueton et à moi de m’écrier en m’évinçant discrètement « votre panier est prêt ! ».


Bon, vous pensez certainement que tout cela est un délire de ma part destiné à égailler un peu la routine quotidienne et que le travail en cuisine avant votre réveil se déroule de façon moins poétique. Vous pensez peut-être que le druide n’existe pas !
Eh bien… en toute sincérité et pour bien des raisons que je ne peux évoquer ici car cela serait trop long et d’un tout autre sujet…

Vous avez tort ! (un peu)

Hervé

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