domaine de frévent

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mardi 6 octobre 2015

La femme de ménage



D’un pas énergique et en tenue décontractée, la petite femme arrive par l’allée tenant dans une main un panier et dans l’autre un paquet de draps propres. Le gîte vient de se libérer, la porte est restée ouverte. Elle le connaît par cœur ce logement pour l’avoir nettoyé de fond en comble une quarantaine de fois cette année. Elle passe le seuil d’entrée, se déchausse et jette un œil observateur dans la pièce à vivre pour une première estimation des tâches à venir.


Ce matin, ce ne sera pas une mince affaire, des miettes de pain sont présentes sur la table. Cette indication lui en dit long sur l’état de propreté générale de l’appartement. Elle se jette sur la nappe qu’elle met en boule et qu’elle secoue vigoureusement dehors avant de la mettre au sale. Puis elle ouvre le frigo, le four, le lave-vaisselle… encore chaud et non débarrassé. Elle va devoir passer beaucoup de temps dans cette pièce mais ce sera pour plus tard. Son travail commence par les chambres de l’étage. Elle reprend son panier garnis de petits produits miracle, et l’aspirateur qu’elle va devoir monter par l’escalier en bois.

Les bras fléchis vers l’avant pour porter son fardeau en élévation, elle avance lentement sur des marches qui grincent sous son passage. Arrivée en haut elle reprend son souffle, le cœur tape fort dans sa poitrine. Elle pose sa charge pour se diriger vers les fenêtres qu’elle ouvre généreusement. L’étage est ventilé. Draps et taies d’oreiller se détachent de la literie. Un ballet de fantôme blanc s’agite dans chacune des chambres, pour finir en chute libre dans la cage d’escalier. Cette envolée de textile souffle les poussières sur leur passage qui se retrouveront ensuite emportées par les courants d’air. Très vite c’est une montagne de linge sale qui s’accumule sur les premières marches.

Puis vient le tour des serviettes de bains et linge de toilette. S’abaissant pour en saisir certaines, elle s’aperçoit qu’une nappe d’eau s’est déposée sous le lavabo. « Hervé, Hervé, vient vite, il y a une fuite dans la salle de bain ». Mais Hervé n’est pas là où il n’entend pas, où il n’a pas envie… Il n’est pas toujours derrière la femme de ménage, il a ses occupations. Alors il reçoit un message sur son portable: « Hervé est demandé de toute urgence, gîte 307 à l’étage ». Impossible d’ignorer la demande de cette personne en détresse. Alors j’accoure, j’escalade l’amoncellement de linge, gravi les marches une à une pour secourir la belle qui se découvre debout devant moi, nus pieds pataugeant sur le carrelage. Je suis bien accueilli : « C’est là que ça se passe, ça coule par terre quand j’ouvre le robinet ».

Bon, alors je regarde, j’examine pourquoi, comment…Ouf, ce n’est pas bien grave. Juste un siphon en plastique déboîté. Vite détecté, vite réparé, je m’en sors bien cette fois, quand une petite demande arrive à mes frêles oreilles. « Tu peux me ramener les draps sales à la laverie s’il te plaît ? » Mais bien sûr, avec plaisir ! C’est ainsi qu’Hervé ressort du gîte, chargé comme un mulet à faire plusieurs trajets.

Heureuse de s’être débarrassée de cette charge encombrante, la femme de ménage reprend son aspirateur et le met en marche. A partir de cet instant et par le ronronnement de l’appareil, elle s’isole du monde pour ne se concentrer que sur les passages de sa brosse, qu’elle pose de temps en temps pour déplacer des meubles. Elle tire avec peine son traîneau par le tuyau souple, son dos se courbe vers le sol, ses bras se lèvent pour faire les recoins de lucarne et les plafonds mansardés.

Très vite, son esprit divague dans des préoccupations qui alimentent son quotidien. Les enfants, le mari, la famille, les vacances, la politique… l’argent. C’est quand elle pense aux impôts, tous les impôts qu’elle va devoir payer à cause de ce travail qu’elle accomplit, que la cadence augmente. Les gestes se font soudain plus énergiques, la brosse cogne dans les plaintes et les portes, son dos se plie plus bas, les fauteuils et les lits à déplacer deviennent plus légers, rien se semble pouvoir arrêter cette machine à nettoyer qui délivre là sa toute puissance. Elle commence à transpirer et ses cheveux se détachent pour venir masquer sa vision. Elle tente de les écarter en soufflant dessus, mais ils reviennent devant ses yeux, alors elle souffle à nouveau, passe sa main sur son visage et ainsi de suite… Maudits impôts, injustice, voleurs, fonctionnaires, migrants... tout y passe, elle crache par terre ! (non ça c’est mon imagination)

Alors, avec la même fougue elle enchaîne, nettoyage des vitres, des glaces, certaines poignées de porte… Le rythme s’accélère par l’enthousiasme… Et c’est très productif, en une demi-heure l’étage est pratiquement terminé. Ah ! Les injustices, quelle belle source d’énergie que voilà !

Pour se rafraîchir, elle entre dans la douche et se met à nettoyer faïences et robinetteries. Les impôts s’éloignent et le calme revient. L’éponge qu’elle tient dans sa petite main caresse langoureusement le lavabo où il ne restera aucune trace de calcaire, c’est sûr. Elle se penche ensuite sur le cabinet qu’elle désinfecte avec autant de soin et de délicatesse. Une bonne odeur parfumée remplit l’atmosphère des lieux, mais ce n’est pas terminé…

Elle doit à présent refaire les lits. Les draps propres et les couvertures sont soigneusement étalés sur les matelas. Le tout est bordé ‘au carré’, comme à l’armée où elle n’est jamais allée. Quelqu’un lui a montré l’exemple et elle a été séduite par la rigueur du travail, qu’elle reproduit maintenant avec application. Là encore, le dos souffre et les douleurs s’amplifient à chaque lit. Avant de les remettre en place, elle va passer la serpillière sur tout le parquet de l’étage. Eh oui, elle lave le parquet ! Cela fait six ans qu’elle nettoie le sol ainsi, et le résultat est plutôt satisfaisant. La surface du bois brille et par le produit utilisé, il dégage une belle odeur de fraîcheur. D’ailleurs, elle lessive l’escalier de la même façon.

Fière du résultat obtenu, elle attaque le rez-de-chaussée avec le même entrain. Ne souhaitant pas retomber dans des pensés fiscalistes, elle allume la télévision sur une chaine de clips pour avoir un peu de musique en tête. L’aspirateur en marche, elle monte le son et swing en aspirant le sol. Ici en supprimant la brosse sur le tapis, là avec l’embout étroit pour les coins de cheminée. Elle chantonne…

Un des chiens du propriétaire attiré par cette agitation décide de montrer son nez à la porte d’entrée restée grande ouverte. De son regard canin, la tête légèrement inclinée sur le côté, il aperçoit ‘peau d’âne’ faisant le ménage aidée de la baguette magique de sa marraine. Il veut poser sa truffe sur les poils de cet animal qui déambule devant lui, et entre avec ses grosses pattes sales de chien de chasse dans le salon. Il imprime des traces de pas sur le parquet et dépose sa délicate odeur sauvage (pas celle de Christian Dior) sur les fauteuils qu’il frôle lentement en remuant la queue. Des hurlements se font entendre !!!

« Hervé est demandé de toute urgence, gîte 307 au rez-de-chaussée » J’accours, et emporte mon chien effrayé loin d’ici, lui expliquant calmement qu’il ne pouvait s’agir de ‘peau d’âne’ !

La femme de ménage est suffisamment remontée à présent pour finir le gîte avec entrain. Alors, toujours en musique, elle continue en rangeant la vaisselle qu’elle vérifie en nombre, en état de propreté et en emplacement dans les placards. Un petit coup sur les carreaux et elle nettoie four et frigo pour finir par un passage de serpillière sur le sol. Le gîte brille de mille feux mais ça sent le chien…ou l’âne, je ne sais plus ! Alors elle pulvérise un peu de parfum d’ambiance avant de refermer la porte.

Son travail n’est certes pas un métier de passion, mais elle reste au fond d’elle, animée par l’amour du travail bien fait. Et il est bien fait son travail, tellement bien fait que peu d’entre nous pourrait en faire autant. Tout est à présent terminé et prêt à accueillir les nouveaux occupants, qui seront sensés rendre le gîte dans le même état.

C’est rarement le cas, et son expérience lui indique qu’elle peut se préparer à recommencer la semaine prochaine.


Hervé


1 commentaire:

  1. La femme de ménage est encore un sujet à débat en France à notre époque ! Comme j'iame bien le dire, il est très important de lui faire confiance et de la laisser faire car qui qu'elle soit elle sera toujours plus efficace que nous qui somme déborder par notre quotidien :) Pour notre femme de ménage on lui a acheté beaucoup de matériel pour lui simplifier la vie mais on a aussi installé une aspiration centralisée afin de changer l'air de la maison assez régulièrement !

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