domaine de frévent

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lundi 6 avril 2015

Week-end de Pâques



Bon allez ! Cette fois je me lance… Je vais essayer de vous écrire sur le pouce, comme ça me vient, au milieu de l’action. Sans trop y réfléchir, sans trop analyser, sans chercher les mots justes, simplement pour vous faire partager une partie de mon quotidien que je dois assurer en parallèle. Je me donne une heure pour ce petit essai.

C’est la fin du week-end de pâques. Celui-ci fut quelque peu surchargé et commença par un coup de fouet inattendu. Mes locataires Autrichien ont souhaité partir un peu plus tôt que prévu en raison des douze heures de route qui les attendaient pour le retour et des bouchons qu’ils préféraient éviter. Ils étaient venus faire une semaine de « Grimpe » en forêt de Fontainebleau. Je ne le savais pas lors de mon arrivée dans cette région, mais Fontainebleau est reconnu pour être le premier site d’escalade d’Europe. Suédois, Danois, Allemand Autrichiens et d’autres font des kilomètres pour venir s’entrainer non loin d’ici, dans les gorges de Franchard, où les rochers présentent des difficultés de tout niveau.
D’ailleurs, départ pour les uns et arrivée pour d’autres, car c’est dans un autre gite que le même jour arrivent des jeunes allemands pour une semaine consacrée au même exercice. La météo s’annonce pour eux, bien meilleure que la précédente.
En attendant pour moi et mon épouse, c’est nettoyage, rangement, menus réparations et préparation des cabanes et chambres d’hôtes, car les parisiens vont être de sortie.

Séjour en cabane qui commence sous la pluie le vendredi soir et toute la journée du samedi. Heureusement l’esprit était à la fête avec des cabaneurs plus orientés à rire et à s’amuser qu’à écouter la pluie tomber. Je vois bien là combien les jeunes sont plus adaptés à rejoindre la nature que les plus âgés, ancrés dans leur confort et leurs habitudes. Ils avaient tout prévu, duvet moelleux et douillet pour éviter de prendre de froid pendant la nuit, et surtout un pique-nique gastronomique à faire pâlir les plus grands restaurant du coin. Jusqu‘aux chaussures de randonnées et sacs à dos pour la marche en forêt. Tout le nécessaire était là pour une soirée réussie, quelque soit la météo. Et ce fut le cas à en croire les commentaires du petit matin et ceux que l’on m’a promis sur les avis en ligne (auquel je ne tiens pas particulièrement, mais vous le savez déjà….voir ici).
Deux clientes m’ont laissé une cabane avec des draps soigneusement rangés à leur façon et dont la disposition constituait une jolie décoration. Je vais m’en inspirer pour la préparation des prochaines fois.(merci Camille pour cette bonne idée)

Et la pluie tombe encore et toujours jusqu’au samedi soir. Le sol de la forêt est détrempé, saturé, des nappes d’eau en surface apparaissent. Il est temps que cela cesse. Le soleil est enfin de retour le dimanche matin. Nous sommes toujours en grand nettoyage et Jean-claude, mon voisin et ami du domaine des Tinarages, arrive et nous demande la réservation d’un gite pour le dépanner. Ça tombe bien, nous en avons un de libre pour cette nuit, celui qui vient d’être préparé hier suite au départ des Autrichiens. Cela dit, il faut faire les lits et nous n’avons plus de draps disponibles car la blanchisserie est en panne depuis plus d’une semaine (je vous livre mon quotidien comme ça vient… on verra bien). C’est la panique depuis quelques jours, les pressings du coin sont submergés et notre machine à laver tourne ‘nonstop’ pour palier au mieux à cet inconvénient.
Mais jean-claude a encore quelques draps devant lui. Il nous les amène, nous faisons les lits et les locataires arrivent en fin d’après-midi…Ravis, tout le monde est content.

Entre temps, le nettoyage a continué de plus belle, car en ce week-end de printemps, beaucoup de clients ne sont que de passage et ne restent que pour une nuit. Alors la vaisselle du petit déjeuner s’accumule sur le bord des éviers, il y a une montagne de draps à laver dans le couloir de la laverie (ou à déposer à la blanchisserie qui j’espère sera opérationnelle dans les jours prochains), les serviettes doivent être repassées au fur et à mesure. Avec les départs, les ordures ménagères et les emballages débordent des containers. Je dois bien vérifier le tri sélectif car à la moindre erreur, les poubelles ne seront pas vidées.

Les allers-retours en cabane s’enchaînent dans une forêt où le piétinement laisse des traces. Je fais attention de ne jamais repasser au même endroit. Une première fois le matin pour le petit déjeuner, une deuxième fois le midi pour le nettoyage et changement des draps. Ne pas oublier de refaire le plein des poêles à pétrole et mettre en charge les lanternes électriques. La troisième fois pour présenter le nid dans l’arbre à ces occupants. Dans certain cas se rajoute une quatrième fois pour porter le panier repas froid pour le diner du soir.

Et de temps en temps repasser au bureau pour écouter vos messages et y répondre. Car c’est ainsi que l’on arrive à pallier à certains imprévus. Comme par exemple, une cabane réservée deux nuits de suite et qui doit se libérer au bout d’une nuit car l’enfant est malade et il doit rentrer à la maison. Et bien sitôt la cabane libérée, sitôt reprise car j’ai répondu présent à l’appel d’un client de dernière minute.

Mais je me fais taper sur les doigts en ce moment. Toutes ces occupations entrainent un manque de communication directe avec les clients. Je n’ai pas beaucoup de temps pour les bavardages, et le peu que je trouve à certain moment de la journée, je le consacre à vous écrire. Là voyez, sur l’instant, les clients arrivent pour le petit déjeuner, et d’autres repartent. J’entends mon épouse trépigner en se disant « mais que fait-il dans le bureau au lieu de venir discuter et dire au revoir aux hôtes ». Alors j’essaye de combiner la chèvre et le chou (ou quelque chose du genre). J’écris deux phrases et je vais discuter un moment avec les clients, puis je retourne sur l’ordinateur pour deux ou trois phrases et ainsi de suite…Cela n’a pas l’air hélas de satisfaire tout le monde et c’est pour cette raison que je dois essayer de raccourcir mes temps d’écriture. Ce matin, par exemple deux cabaneurs sont venus saluer mon épouse avant de partir, sans que je m’en aperçoive. Je m’en excuse auprès d’eux, j’étais juste en train d’écrire ce texte !

Bon voilà, mon week-end de pâques livré pour vous en une heure trente environ (avec quelques interruptions) et je vais devoir vous laisser car le nettoyage m’attend. A commencer par la vaisselle…
Je vais soumettre ce texte à ma secrétaire (ma femme) pour relecture avant publication. Oui, c’est elle qui corrige les fautes d’orthographe et si il en reste… ce sera de sa faute !

Hervé

vendredi 3 avril 2015

Le travailleur Ukrainien



Du travail, en Ukraine il y en a, mais de l’argent pour le rétribuer il n’y en a pas. Alors à quoi bon rester là-bas, ailleurs c’est si facile. Roman me disait qu’ici, en France il gagnait autant d’argent en une journée de labeur que sa femme, infirmière, en gagnait en un mois là-bas. De la motivation, il en a trouvé évidemment pour avoir le courage de tout quitter, femme, enfants, amis. Il s’est fait embaucher par une entreprise qui l’envoie travailler dans les pays de l’Ouest en tant que manœuvre.

C’est un soir tard, qu’il arrive à Frévent, en fourgon avec cinq collaborateurs. L’entreprise a louée un gîte pour l’équipe, le temps que se déroule le chantier non loin d’ici. Ils se connaissent à peine mais apprendront à s’apprécier par la vie en communauté. Six hommes qui se partagent un logement, ça créé des liens. Roman a étudié un peu le Français et il servira donc d’interprète. C’est l’hiver, il fait nuit et il est épuisé du voyage de la journée. Je lui donne les instructions à respecter dans ce domicile qui pour lui, s’apparente plus à un hôtel de luxe qu’à un foyer de travailleurs.

L’homme est calme, posé, attentif à ma diction. Dans ces yeux, je vois la mélancolie d’être loin de chez lui pour longtemps et d’arriver seul, dans un endroit qu’il ne connaît pas. En me regardant gesticuler, je devine qu’il pense déjà à son épouse et qu’il l’imagine chez lui, dans l’appartement de Kiev, entourée de ces trois enfants. Ils se demandent s’ils vont apprendre à patienter, s’ils vont apprendre à supporter l’absence du père pour profiter de la récompense de cet effort de division. Il pense déjà à tout cet argent qu’il va pouvoir leur envoyer et pour lequel il fait ce sacrifice. Lui en seront-ils reconnaissants un jour ?

C’est avec un visage tendu qu’ils prennent connaissance des lieux. Ils se regardent, échangent quelques mots en Ukrainien, dans un phrasé reflétant la parfaite concision orientale. Roman traduit. « Y a-t-il le wifi ? » La première question posée sonne comme un message de détresse. Ce n’est pas de savoir si il y a ici le nécessaire pour vivre confortablement qui les intéressent, mais plutôt si il existe ici l’outil, le lien, la main tendue permettant de rester en contact avec les familles. Je leur donne le code d’accès et je continue d’énumérer les consignes concernant le logement. Ils sont ailleurs, probablement sur l’ordinateur en liaison avec leurs proches qui leur manquent déjà.

Dès demain, ils commenceront ce travail qui ne correspond en rien à leur formation initiale. Avec la grisaille dans le cœur, ils se rendront chez cet employeur qu’ils ne connaissent toujours pas. Roman était électricien, là, il sera ouvrier peintre en bâtiment. Qu’importe la tâche, du moment où elle s’effectue à l’intérieur. Surtout ne pas travailler dehors, car il pourrait tomber malade et aurait du mal en s’en remettre. De là où il vit, la centrale nucléaire de Tchernobyl n’est pas loin. Les conséquences de la contamination radioactive ont, selon eux, fragilisé l’état de santé de la population. Alors ils se couvrent deux fois plus qu’il ne faut par crainte de prendre froid et prêtent une attention particulière aux courants d’air.

Mais bientôt le printemps viendra, les journées seront plus douces et plus longues. Il faudra se méfier des pollens qui déambuleront dans l’air et pour lesquels ils sont allergiques plus que d’ordinaire. Les mains de ces travailleurs se couvriront de callosités aux grès des heures supplémentaires effectuées, qui ne seront jamais suffisantes pour satisfaire leur appétit temporaire. Les douleurs du travail accompli, se feront oublier par quelques soirées de pêche au bord de l’étang. Un siège de fortune, une bière pour se détendre et la ligne positionnée au-dessus de l’eau pour alimenter les pensées nostalgiques du moment. C’est au court de ces instants de sérénité que Roman et moi avons sympathisé. Il me parlait de sa femme, de ses enfants bien sûr mais aussi de ses projets pour lesquels il était venu jusqu’ici. Nos discutions du départ étaient superficielles. Puis, progressivement il m’a fait part de ses états d’âmes baignés de son fatalisme slave. Je l’écoutais progresser dans notre langue. Il me parlait aussi de la politique de son pays. Celle-ci était ‘corrompue’ disait-il !

C’était avant les évènements de l’année dernière. Aujourd’hui c’est peut-être différent, aujourd’hui c’est la guerre. Le connaissant, je suis sûr que lui aussi a pris les armes et qu’il s’est engagé pour obtenir cette indépendance. Je suis sûr qu’il s’est redressé, qu’il a levé les poings pour remplacer ceux qu’ils l’ont contraint à faire ce choix : La misère, ou vivre loin de chez lui.

Une fois le chantier terminé, avant son départ, il m’a laissé son numéro de téléphone, et nous sommes restés en relation quelques temps. Il est allé sur d’autres chantiers, dans d’autres régions… puis il est revenu à Frévent, plusieurs fois. L’année dernière j’ai essayé de reprendre contact… en vain. Le numéro a été réaffecté. Quelque fois, au bord de l’étang, je me prends à repenser à lui. Je l’imagine marchant en direction de sa grande destinée, celle qu’il s’était fixée quand il était enfant et dont il s’était éloigné temporairement en venant ici, engranger sa subsistance. Je le vois évoluant dans cette noirceur soviétique avec une neige sale sur le bord des routes et en tenue de combat zébrée blanche et marron comme dans les reportages télé… Lui qui avait si peur du froid.

Mais peut-être y a t-il déjà laissé la vie.

C’était l’histoire de cet homme venu de l’Est, qui a croisé ma route il y a quelques années. Il était venu jusqu’ici pour se réchauffer le cœur en améliorant la situation de ceux qu’il aime et qui étaient restés là bas.
Je l’appelais Roman … Et je n’ai jamais su son nom !


Hervé




vendredi 27 mars 2015

La formule magique.



Tr = 8√H.[112+(0,9.T)]+(0,1.T)-112

Tr = Température du point de rosée en °C
H = Taux d’humidité en %
T = Température en ° C
 
Petit, j’imaginais la pluie … Transportée par les nuages noirs et se déversant sur nos têtes au fur et à mesure de leur passage. Poussés par le Gulf Stream, je les voyais faire le plein au-dessus de l’océan Atlantique pour venir arroser les terres d’Europe, d’Ouest en Est. Plus le nuage était foncé, plus il y avait  de gouttelettes en suspension dans l’air prêtent à tomber sur nos têtes. C’était plutôt simpliste, mais loin d’être ridicule…
   
                          
Tr = 8√H.[112+(0,9.T)]+(0,1.T)-112, Aujourd’hui, la température du point de rosée n’est pas atteinte. Pour l’instant il ne pleut pas mais le sol est saturé d’eau. Il avale lentement le breuvage que le ciel a déversé sur lui ces derniers jours. Les cavités qui sont en lui, sa granulométrie, sa texture ne suffisent pas à entrainer par le fond toutes les précipitations accumulées. La croute terrestre de Frévent est devenue une membrane anaérobie. Certains micro-organismes qui l’habitent vont se noyer.
Je marche dans l’herbe imbibée. Chacun de mes pas appuyés reculent de 10 centimètres en glissant vers l’arrière. Dans l’hypothèse où mes enjambées agricoles me font avancer d’un mètre en terrain stable,(très pratique pour mesurer les parcelles) je dois faire onze pas au lieu de dix pour parcourir dix mètres. Fort heureusement, je suis équipé de bottes en caoutchouc. Mais dans ma foulée chaloupée mes chaussettes distendues se sont repliées en accordéon sur mes orteils. Je me mets en équilibre sur un pied pour les remonter et les tendre sur mes mollets.

 
          
Mes chiens m’aperçoivent au loin et remarque que je suis en difficulté. Ils accourent vers moi, les oreilles battantes, sourires aux lèvres et langue pendante d’un essoufflement déjà bien entamé. Tels les chevaux au galop dans les marais de Camargue, ils éclaboussent tout sur leur passage. Arrivés sur moi en terminant leur course chaotique, ils me bousculent. Je hausse le ton, ils me tournent autour, je perds l’équilibre et tombe sur le derrière. Je sens l’eau froide envahir mon pantalon qui n’est pas étanche. Ma peau se contracte… mon humeur aussi. Je hausse le ton, me voyant à leur hauteur les chiens cherchent à me lécher. Je me protège la figure de leurs museaux envahissant, avec mes bras. Je hausse le ton, ils me grimpent dessus avec leurs grosses pattes toutes sales, pensant que je suis prêt à jouer. Je voudrais me relever pour éviter le tsunami d’affection qui m’envahit mais je ne peux pas, alors je hausse le ton à nouveau espérant cette fois être entendu. Ils se calment enfin, se retournent, et me laissent le temps de me relever. C’est à mi-chemin de la position verticale que je me prends un coup de queue ressemblant plutôt à un coup de massue, sur le visage. Me voilà un peu sonné, trempé mais debout.

  
Tr=8√H.[112+(0,9.T)]+(0,1.T)-112, le taux d’humidité commence à grimper sérieusement, mais le point de rosée n’est toujours pas atteint. J’avance plus loin dans le sous-bois. L’eau de surface est apparente. Les feuilles mortes sont collées les unes aux autres et forment un tapis de caoutchouc moelleux. Les brindilles que j’écrase sous mes pieds ne craquent pas. L’humidité neutralise tous les froissements, les crépitements. J’évolue dans un monde élastique où toutes choses semblent pouvoir faire preuve d’une grande souplesse. Avec mon pantalon froid et plein de terre qui colle à ma cuisse, ma liberté de mouvement est diminuée. Je frissonne mais je suis attiré par cette atmosphère humide qui me présente des images jamais observées auparavant. J’essaie de sortir des sentiers battus et j’observe des brillances, des profondeurs de champs. Je me retourne pour découvrir des couleurs révélées par cette forte imprégnation climatique.

            
Tr=8√H.[112+(0,9.T)]+(0,1.T)-112, Le ciel s’assombrit, le taux d’humidité augmente encore et arrive à 85 %. La température ambiante diminue. Le point de rosée est atteint cette fois, les fines particules d’humidité en suspension dans l’air reçoivent une mission physique. Elles doivent se regrouper, s’agglutiner, se serrer amoureusement entre elles afin de former des gouttelettes d’eau. Ces gouttelettes tomberont du ciel ou se regrouperont à la pointe d’une branche, d’une herbe, d’une terminaison géométrique saillante.
C’est la pluie qui l’emporte.  Elle mouille mes cheveux, qui plaqués sur mon front ruisselle sur mon visage. J’étale de ma main cette eau qui vient troubler ma vision. L’une d’elles parvient à se glisser, par l’arrière, sur le haut de mon dos. Je remonte mon col et le resserre pour éviter que d’autres ne la suivent. L’averse qui s’intensifie s’accompagne du bruissement sourd des innombrables gouttes qui heurtent les branches et s’écrasent au sol.
Musique monocorde, paysage brumeux et opaque, température fraîche… Il est temps de rentrer !


 Voilà donc le faiseur de pluie. Un sage équilibre entre la température et le taux d’humidité de l’air, sans qui les nuages chargés de l’évaporation de la mer n’arriveraient à déverser leur précieux chargement au-dessus de nos têtes.
Petit, il me manquait juste cette formule de constatation physique (que je trouve bien compliqué d’ailleurs) pour justifier comment l’eau de mer puisse voler dans les nuages sans retomber immédiatement dans l’océan.
 
Hervé