domaine de frévent

domaine de frévent

samedi 21 novembre 2015

Vue du lit...




Vue du lit de la Tour, je suis Vincent Perez dans Fanfan la Tulipe. Je m’imagine, allongé sur le lit avec de grandes bottes de cuir montant au-dessus du genou. Mon épée est posée sur le côté, elle vient de m’accorder un moment de liberté. Il fait chaud, des pollens flottent dans l’air qui traverse la chambre. Près de moi, Pénélope Cruz, ‘Adeline’ s’est endormie. Ses vêtements sont répartis sur le sol au milieu de brins de paille écrasés, tombés du grenier. En me grattant le ventre à travers ma tunique déboutonnée je regarde les tourterelles virevolter autour des fenêtres ouvertes. Elles cherchent à rentrer dans le pigeonnier et se sentent dérangées par notre présence. 

 

Je me tourne sur le côté et me met en contemplation des courbes de ma belle endormie que je survole d’une main légère en effleurant sa peau. Une petite chair de poule apparait. Elle se retourne et me regarde en souriant. Je me mets sur elle en chevauchant son corps pour me saisir d’une bouteille désaltérante posée sur la table de nuit de l’autre côté du lit.

Alors, « what did you expect ? » 


Vue du lit de la Conciergerie, je suis le maître des lieux qui attend là… son trépas. Bonnet de nuit posé sur la tête et redressé avec des coussins dans le dos, je regarde les médecins s’affairer autour de moi. Grandes seringues et ventouses se succèdent pour m’alléger du mal qui m’emporte. Des saignés m’épuisent soir et matin. Le prêtre qui prend toujours un peu d’avance dans ces situations, est assis près de moi, tenant dans une main, son chapelet, et dans l’autre, mon bras gauche. 
 

Mais je m’accroche à la vie, je refuse le dernier voyage. De cette cheminée qui se tient debout face à moi, je revois défiler mes combats, mes victoires…ma vie. Dans l’âtre noirci de mes flambées d’hiver, un curieux personnage au visage d’ange apparaît. Il est beau, me sourit, me parle lentement, doucement, posément. Son discours me rassure, me libère de mes amarres. Celui qui travaille pour le compte du bon dieu, semble vouloir m’inviter à le suivre. Il prend mon bras, me serre la main et m’emmène avec lui…
 
Je dis ‘NON, pas maintenant…’ et je me réveille en sursaut ! Ouf, il s’agissait d’un put… de cauchemar !

On est mieux dans la vraie vie.



Vue du lit de la Galerie, C’est la fête autour de moi. Les grandes baies vitrées sont ouvertes et les convives rentrent et sortent sur la terrasse aux gré de leurs démarches festives. Sur ma gauche, des hommes rient aux éclats, plus loin des jeunes femmes s’amusent autour du puits, devant moi d’autres s’initient à la dégustation du caviar. La musique bat son plein, les gens dansent et s’amusent sous le ciel étoilé d’une nuit d’été. Plus loin sous la charreterie, c’est le chaos qui recouvre les tables dégarnies. Les nappes blanches sont parsemées de tâches de vin et de miettes de pain abandonnées au milieu de verres sales et de bouteilles à moitié vide. Les lampadaires extérieurs sont tous allumés dans le jardin et les papillons de nuit virevoltent autour attirés par la lumière qui les obsède. 
 

Des serveurs en turban arrivent, se partageant sur leurs épaules le poids d’une immense coquille saint-jacques refermée et enrubannée. Ils la posent sur le gazon séché où tout le monde accoure pour découvrir ce cadeau qui leur est offert pour cette soirée. La musique change pour une mélodie dansante venant d’un pays lointain. Les rubans sont coupés et la coquille s’ouvre subitement laissant apparaître une jeune indienne dénudée se levant pour danser au milieu des invités. Épicuriens de tout bord se regroupent alors pour savourer la grâce qui déambule autour d’eux… Ils la caressent des mains et des yeux, jusqu’à prendre part aux plaisirs qui en découlent.
 
En fait, cette histoire ne sort ni de mon imagination, ni d’un épisode de ‘Game of Thrones’. Elle m’a été contée par quelqu’un qui (aurait) assisté à une soirée organisée ici par l’ancien propriétaire des lieux. C’était il y a fort longtemps et j’ai bien peur qu’elle ait été un peu déformée dans son interprétation. Mais je ne peux m’empêcher d’y repenser à chaque fois que je me place dans cette chambre et que je regarde en direction de la charreterie, cœur supposé des festivités de cette ‘joyeuse’ époque disparue.



Vue du lit dans la maison du garde, j’ai les yeux fixés sur l’extérieur par la lucarne. Je vois la brume qui se lève et découvre des rangs de vigne en premier plan, des arbres et des forêts plus loin, un étang entre les deux, des plaines à céréales sur le côté, des massifs à fleurs, des allées bordées de haie taillées, du gazon bien tondu… et personne pour animer tout cela puisque je suis là, dans la chambre, à vous conter ma petite histoire.

Je me souviens du tableau qui représentait cet endroit lors de mon arrivée, il y a dix ans.
La brume découvrait alors une immense friche étouffée par de grands arbres posés ça et là sans un véritable ordonnancement. Ils se disputaient la lumière du soleil et cachaient tout horizon depuis les fenêtres du gîte au point de masquer totalement l’emplacement de l’étang plus loin. Etang, qui lui-même était envasé et envahi par des arbustes qui avaient pris racine dans une vase solidifiée.
Les rangs de vignes, les haies taillées et les massifs à fleurs n’existaient pas. Les grandes herbes, chardons et orties étaient à la place du gazon d’aujourd’hui. Les rayons du soleil ne pouvaient entrer dans la maison qu’entre 13 et 14 heures. Je me revois dans cet espace horaire à cette même fenêtre me nourrir de ces images qui se sont fixées à moi sur fond musical du dernier album de Zazie : Rodéo.

Mon ventre se resserre en m’imprégnant de l’atmosphère de cet instant… où tout a commencé.



Vue de mon lit, Je vois mes orteils écartés lors d’une soirée d’été. Ils sont enfin au repos après une journée de labeur. En deuxième plan, la télévision avec au programme une nouvelle enquête de l’Agent Jethro Gibbs, qui commence à me lasser un peu je l’avoue. Il n’est pas tard, la nuit tombe et j’attends des hôtes pour la ‘galerie’. Couché sur mon lit, je visualise parfaitement les arrivées et les départs de chacun car j’ai une vue dégagée sur l’entrée du parking.
 
C’est ainsi qu’un jour, j’ai vu une voiture partir très tôt le matin sans jamais avoir su si les clients étaient mécontents de la prestation ou s’ils étaient tout simplement pressés de continuer leur voyage!
J’ai vu aussi une voiture arrivée vers deux heures du matin, où les clients pensaient trouver à leur arrivée ici un veilleur de nuit et le numéro des chambres inscrits sur chaque porte. Ils n’avaient pu arriver plus tôt car le dîner pris dans un restaurant parisien s’était quelque peu prolongé voyez-vous !
 
Mais ce ne sera pas le cas ce soir. Un faisceau lumineux qui se fait de plus en plus intense éclaire les troncs d’arbre de la forêt en face. En prenant le virage de l’allée, il pivote en direction de ma fenêtre. Je m’en retrouve ébloui mais distingue bien deux optiques de phare qui me font comprendre que c’est le moment de mettre pied à terre et descendre pour accueillir mes clients.
 
Je les installe, les mets au lit, les borde généreusement pour ne pas qu’ils aient froid, un petit bisou sur le front, et… bonne nuit les petits !
 
Mince, je crois que je viens de m’endormir !
 

Hervé


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire