domaine de frévent

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samedi 13 décembre 2014

6 - Massacre à la tronçonneuse (suite)...


C’était une mauvaise journée. Ce qui est souvent le cas quand un travail se déroule très vite en ne se concentrant que sur l’essentiel. Une fois terminé, il reste une montagne de tâches à effectuer pour la remise en ordre.

Quoi qu’il en soit, l’hécatombe a eu lieu. Rien ne s’est passé comme prévu, mais tout est par terre.
Je ne voulais pas que les grands sapins tombent dans l’eau de l’étang face à eux. Eh bien ils sont tombés… dans l’eau. Mais c’était voulu. D’après le bûcheron (le pro) il était risqué de les diriger avec précision dans un autre axe.
Et c’était finalement pas si dramatique, car une fois dans l’eau, les troncs ça flottent. Il devient alors facile de monter dessus pour les tronçonner et les hisser par portion sur la digue en les tirant avec le tracteur. Voilà donc, ce fut fait.




Évidemment c’est le capharnaüm sur la digue. Les troncs sont alignés le long du chemin au milieu des branches coupées qu’il va me falloir brûler. Le bûcheron viendra chercher les grumes plus tard.
Le terrain est détrempé et le tracteur a marqué le sol de ses roues agraires. Son utilisation sur les parties engazonnées est toujours déconseillée en cette période. Dans le cas présent elle était nécessaire cependant, et il me faudra donc reboucher les ornières au printemps.

J’ai compté les stries de la coupe du sapin qui semblait être le plus vieux. J’en ai compté 50. Cet arbre a dû être planté dans les années 1965 / 70 à l’époque de la R16 et des pattes d’éléphant. Cela correspond vaguement à la date d’acquisition du domaine par l’ancien propriétaire. C’est donc peut-être lui qui les avaient faits plantés.
Les jours qui ont suivi étaient trop venteux pour allumer un feu. J’ai dû attendre quatre jours pour commencer le nettoyage. Il faisait froid, il brouillassait, tout était mouillé et il m’a été difficile de démarrer le brasier. Une fois parti, la fumée se dirigeait sur la route, ce qui m’a conduit à l’alimenter tout doucement.
Je n’aime pas faire des feux, c’est toujours dangereux, une rafale de vent peut arriver soudainement et emmener des flammèches d’un coup, on se sait pas jusqu’où. Même quand tout est humide, j’ai une appréhension. Les fumées denses qui traversent la route voisine en plein virage, peuvent gêner la visibilité. Et puis ce n’est pas très discret un feu. Tout le voisinage est en alerte à la moindre fumée naissante. Surtout les agents de l’ONF, les pompiers, les gendarmes et le conseil général... la mairie.

Brûler, n’est plus dans l’air du temps. Allumer un feu, c’est aujourd’hui passer pour un pyromane ou au mieux, pour un inconscient qui aime prendre des risques en défiant les forces de la nature. Et puis… c’est la fumée qui pollue, c’est l’empreinte Carbone qu’il faut diminuer, c’est le réchauffement climatique qu’il faut arrêter, etc…
Il devient urgent d’investir dans un broyeur à branches. D’autant que les copeaux obtenus m’aideraient à lutter contre les mauvaises herbes sur les massifs à fleurs, en m’économisant du binage.



Mais pour cette fois encore, peut-être la dernière, il me faudra faire attention aux conséquences de mon nettoyage. Alors je tronçonne par petit morceaux que je pose délicatement sur le foyer. Lorsque le tas prend de l’importance, j’attends, appuyé sur le manche de ma fourche, qu’il se consume. Il faut prendre du temps pour ne pas prendre trop de risque. Puis je retourne chercher des brindilles.

La proximité du feu me tient chaud, en cette froide journée de décembre. La bruine me tombe sur les épaules et me mouille les cheveux qui goûtent sur mon visage. La fumée qui tournoie, vient me piquer les yeux et imprégner mes vêtements d’une odeur de pin brûlée. Dans mes déplacements, mes chaussures de sécurité glissent sur ce dédale de branches entremêlées. Alors je tombe, comme un enfant à qui on vient de faire un croche-pied et qui ne sait où sa chute va s’arrêter. Enfin stabilisé, mains et genoux à terre, la tête dans les aiguilles vertes, je me relève péniblement avec l’appréhension d’y retourner dès le prochain pas engagé. Alors je préfère la marche arrière qui semble plus sûr. Mais là encore mon pied se coince entre branches et tronc. Et c’est la chute arrière, plus incertaine encore que la première parce qu’elle est aveugle. Me voilà stabilisé sur le cul cette fois, encerclé par la fumée qui, à ce moment précis est de retour sur moi. Je sens très vite l’humidité du sol pénétrer mon pantalon et me refroidir les fesses. Alors je me débats pour me relever au plus vite en prenant appui sur des supports que je ne vois pas. Une fois debout, je ressens des douleurs d’égratignures aux jambes et un hématome au bras gauche. Je suis maudit c’est sûr. Ces sapins veulent se venger de moi pour leur avoir enlevé la vie. J’ai hâte de retrouver ma fourche.

De retour près du feu, je me place en amont du vent pour respirer le bon air. Je regarde l’étendue du chantier, qui ne semblait pas si important quand les résinifères étaient debout. Le nettoyage se serait étalé progressivement au fur et à mesure de l’abattage, ma tâche en aurait été facilitée. Mais là, il y a trop d’arbres tombés l’un sur l’autre au même endroit. En venir à bout va être long. La flambée durera plusieurs jours.



Pour terminer cet épisode, prenons du recul. On ne se souvient déjà plus du rideau noir que formaient ses sapins de trente mètres de haut. Pour en mesurer l’impact sur le paysage, il faut comparer les photos Avant / Après. Les charmes, plus petits, qui étaient derrière et que l’on remarque maintenant, vont pouvoir s’étoffer à leur tour et s’équilibrer.
Et puis, au printemps prochain, le soleil arrosera plus généreusement les sept petits rangs de vigne qui se trouvent plus au nord. Ce petit plus d’ensoleillement sera bénéfique au raisin pour arriver à maturité.


Hervé

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