domaine de frévent

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mercredi 20 mai 2015

14 Mai 1925...



Les voitures convergent d’un peu partout en France pour se retrouver en un point de ralliement. Elles arrivent au domaine de Frévent en milieu d’après-midi. Leurs occupants souhaitent arriver un peu plus tôt pour organiser une surprise. Petits et grands sont venus jusqu’ici avec un objectif : Entourer chaleureusement la mamie à qui on va fêter l'anniversaire. Leur point commun étant le lien du sang, ils se connaissent tous de longue date et sont heureux de se revoir. Sur le parking, ils se regardent, s’embrassent et en oublient le temps maussade. Les discussions s’entament dans l’enthousiasme des retrouvailles en prenant possession des chambres.


Peu de temps après, la doyenne arrive et sort de la voiture, la canne en avant. Au bras de sa fille, elle marche par petits pas, doucement, en soulevant péniblement chaque pied. Elle reconnait le lieu, mais ne sait pas encore où va la mener cette marche. C’est alors qu’un arrière-petit fils arrive, puis un deuxième, la joie l’emporte. Les rires et les sourires fusent, les étreintes aussi. Puis viennent à sa rencontre tous les autres. Ses petits-enfants déjà parents, ses enfants devenus grands-parents et leurs conjoints, fidèles compagnons depuis si longtemps. Son cœur se met à battre plus fort, ses yeux se troublent et ses mains se mettent à trembler. Ce tsunami d’affection qui l’entoure soudain lui réchauffe le cœur. Elle perd pied, quitte ce monde pour entrer dans une phase d’allégresse. Elle se rend compte qu’ils sont venus, qu’ils sont tous là pour lui montrer qu’elle n’est pas seule en ce jour que bien peu, nés le 14 mai 1925, ne connaissent. C’est finalement bien entouré qu’elle passe la porte du gite pour venir s’assoir dans un fauteuil confortable d’où elle ne se lèvera plus que pour aller se coucher. (Peut-être pour un petit pipi quand même !)

Malgré l’appareil auditif, la paire de lunettes, les sens ne sont plus assez vifs pour être attentif à tout ce qui se passe autour d’elle. Alors elle capte à son rythme, les informations les plus prononcées, comme ce nouveau-né que l’on place dans ses bras et qui n’est autre que sa dernière petite fille. Elle en a tant bercé de ceux qui sont aujourd’hui debout et qui s’agitent devant elle, que tenir une quatrième génération ne l’impressionne pas. Le bébé et la vieille dame se regarde dans les yeux, l’un est trop jeune pour comprendre ce qu’il voit tandis que l’autre retrouve là, des sensations éprouvées plusieurs fois au cours de son existence. Mais cet enfant sera différent des précédents. Il n’aura pas l’occasion d’être formé aux nombreuses dictées qu’elle a dispensées aux autres générations et dont j’ai moi-même bénéficié il y a longtemps. (C’est un peu grâce à elle s’il n’y a aucune faute dans ce texte !)

L’assemblée se détend, la température ambiante monte et un brouhaha inonde la salle. Le champagne arrive et remplit les coupes. Tout le monde trinque aux 90 ans de mamie. Les discussions se succèdent et les souvenirs s’accumulent. Chacun passe la voir pour évoquer un moment de vie passé à ses côtés et qui a marqué son existence. Les enfants s’amusent, courent dans la pièce et font du bruit devant elle. Elle les regarde avec bienveillance, en souriant et ne s’en agasse nullement. A son âge on tolère tout même si c’est fatigant. Les esprits s’échauffent accompagnés de bonnes rigolades. Certains, verre à la main, commencent à faire le show ici et là. Mamie est fière de voir la complicité qui unie les siens.

Soudain, un voile gris descend sur cette image colorée. Il vient opacifier légèrement la vision du moment. Alors les traits de son visage se tendent, se durcissent, le regard s’absente un instant. Sous l’information apportée par son cortex cérébral toujours très actif, elle se met à penser à tous ceux qu’elle a laissés derrière elle. En commençant par son époux, décédé il y a plusieurs années et qui l’a laissé toute seule, dit-elle. Puis ses propres parents, ses frères et ses sœurs disparus depuis longtemps. Elle pense à toutes les difficultés traversées et qui ont jalonnés sa vie pour arriver cet âge avancé. Il y a eu les maladies, les difficultés économiques, les évènements tragiques qui lui laisse un gout amère de plusieurs expériences vécues. Tout n’a pas été rose même si elle a tendance à ne garder en souvenir que les meilleurs moments.

Alors la couleur revient vite et son visage s’illumine. Les verres se vident pour se remplir à nouveau, ce soir c’est la fête et tout le monde aura sa chambre sur place. Les joues sont rouges et les rires éclatants. Mamie a envie d’une petite cigarette, ses enfants l’installent sur la terrasse. Pendant que la tige se consume, c’est dans un nuage de fumée, qu’elle nous délivre calmement une histoire. Ceux qui se trouvent dehors avec elle, l’écoute avec attention. L’exaltation fait place à un doux moment de relaxation.

Puis elle retrouve son fauteuil dans le gite car la nuit tombe et le diner commence. Il s’agit d’un cocktail, alors les plats garnis de toast circulent dans l’assemblée et passent par ses mains flétries. Sans grand appétit elle parvint à gouter à tout jusqu’au dessert. Pendant que les ventres se rassasient, les groupes se forment et se déforment dans la pièce. Elle observe ce jeu et s’amuse à discerner les affinités de chacun. Le gâteau est installé sur la table. Il ne sera jamais assez gros pour être à la hauteur de toutes ces années passées, mais bien assez pour célébrer l’évènement. Elle se lève, accompagnée de ses enfants, pour souffler les nombreuses bougies. Sous le déclenchement des flashs et des obturateurs, les appareils photos immortalisent le moment.
C’est en dégustant ce dessert que les cadeaux arrivent, remplient de bonnes intentions pour lui faciliter le quotidien ou décorer son cadre de vie.

Il est minuit, la soirée prend fin. Toujours très encadrée, elle prend la direction de sa chambre. Sur la table dégarnie, des tâches impriment la nappe blanche au milieu duquel il reste des plats vides et des bouteilles entamées. La vaisselle salle s’est amoncelée sur la paillasse près de l’évier. Posés ici et là, les quelques verres à moitié vide sont les derniers reflets d’une fête qui vient de se terminer. On éteint les lumières.

Mamie se couche enfin et se renferme dans un silence devenu naturel. Plongée dans le noir, elle s’endort doucement en revoyant défiler cette soirée animée par tous ceux qui sans elle, n’auraient jamais existé.


Hervé

samedi 9 mai 2015

C'est la mousson...


Cette vaste étendue de pelouse bien verte ne demande qu’à être tondue. L’herbe est haute mais il est difficile de trouver une fenêtre météo pour la couper. Il faut quatre à cinq heures au printemps pour venir à bout de cette tâche hebdomadaire.

Avec la pluviométrie de ces derniers jours, le sol est trempé et pourtant, il faut passer. Je profite d’un coup de vent sans pluie cet après-midi pour mettre fin à douze jours de croissance herbacée.


Après le déjeuner, je protège mes oreilles du bruit et je démarre le tracteur... Accélérateur à fond, plateau de coupe embrayé, les trois lames se mettent en rotation pour aspirer, sectionner et éjecter ce qui se présente face à elles. Me voilà parti pour cinq heures de rodéo. Pied légèrement appuyé sur la commande de vitesse, je fixe un point sur l’horizon et y cale le nez de l’engin pour un premier passage rectiligne. La tondeuse laisse derrière elle la trace nette, couleur ‘vert tendre’ d’un gazon coupé raz. Celle-ci sera vite recouverte par une projection d’herbe venant de la tonte du sens inverse. Moi, lunettes de soleil posées sur le nez (bien inutile par ce temps nuageux) j’ai l’œil fixé sur la petite roue du plateau de coupe que je cale sur la trace du passage précédant. Mais très vite il y a bourrage et des paquets d’herbes mâchées se détachent sur le damier. Le tracteur semble rouler sur l’eau. Ces roues, chargées de terre et de gazon mouillé, laissent des empreintes de leur passage. Les conditions ne sont pas réunies pour faire un travail propre, mais il faut finir avant la prochaine pluie qui sera là dès ce soir.

Au fur et à mesure des allés retours, mon regard s’égare dans des pensées multiples. Heureusement, les secousses sont là et les obstacles aussi, pour me maintenir éveillé. Déjà, le dos agité dans tous les sens, accuse quelques douleurs. Les muscles qui le maintiennent droit se contractent en réaction au moindre dénivelé du sol. Ils se fatiguent, s’échauffent, perdent de leur souplesse. Les jambes et les bras leurs viennent en aide. Sans essoufflement, c’est le corps tout entier qui s’épuise dans la monotonie de l’action.

J’arrive à un passage délicat chargé en arbustes de différentes tailles, placés çà et là en désordre devant moi. Marche avant et marche arrière s’enchainent tout doucement pour limiter le patinage. Délicate manœuvre à droite, puis à gauche pour tondre au plus près des arbres. Manipulations énergiques qui apportent momentanément un peu de réchauffement.
Un peu plus loin, dans une combe gorgée d’eau, l’herbe est grasse et dense. Le régime du moteur diminue légèrement et devient plus sourd. Le tracteur peine à avaler cette matière verte qui s’agglutine sous le carter de coupe avant d’être éjectée. Des vibrations se ressentent dans le volant et une légère fumée noire sort du pot d’échappement. Comme pour un humain en pleine effort, la machine doit ralentir si elle veut tenir la cadence. Alors je lève le pied pour diminuer sa vitesse d’avancement et lui permettre de reprendre son souffle.

Je parcours ainsi des kilomètres sur ce cheval de fer en dessinant des méandres sur le tapis végétal. Semaine après semaine, cela me permet de contempler et d’examiner à partir de différents points de vue, l’ensemble de mon espace de vie.

L’après-midi passe et quelques gouttes de pluie font leur apparition sur le capot. Il est temps de s’arrêter. Je place le tracteur devant la cuve à fioul pour refaire le plein et je coupe le moteur. Par une extension de mes membres inférieurs, je me lève en enjambant le siège et me retrouve debout après cinq heures de soubresaut. Mes articulations craquent, mes tendons manquent de souplesse et c’est avec quelques douleurs que je parviens à me remettre en mouvement. La démarche est lente et saccadée, le dos est voûté et rencontre des difficultés à reprendre sa verticalité.

Appuyé sur un poteau, pendant que mon réservoir se remplit, je regarde cette surface verte dépourvue à présent de petites fleurs. Je remarque des traces de roue plus ou moins appuyées selon l’endroit ainsi qu’une couche irrégulière d’herbe coupée qui vient de sécher sous l’effet du vent. Il restera de cet épisode une tonte imparfaite que le temps, j’espère se chargera de réparer. La pluie peut reprendre maintenant, car le prochain passage ne se fera pas avant la semaine prochaine… Quoique, peut-être un peu avant pour éliminer plus rapidement les stigmates de cette aventure imbibée.


Voilà bien d’ailleurs, le seul objet à retenir de ce feuillet un peu fade. Pourquoi le publier me direz-vous ?… et bien pour laisser une trace de ce que fut la météo en ce début du mois de mai 2015. C’était la mousson, ici au Domaine de Frévent et cela ne nous a pas empêché d’entretenir la pelouse.

Hervé




vendredi 1 mai 2015

Dormez tranquille.



Température fraîche, pluie et vent, voici le menu météo du jour. De quoi vous rendre grognon pour toute la journée. Alors tant qu’à ronchonner un peu, autant que cela soit au sec, dans le bureau et confortablement assis devant son écran d’ordinateur. Je vais vous faire profiter de quelques brouillards bien sombres qui encombrent mon esprit depuis quelques temps et qu’il est préférable d’évacuer à présent.

Il y a quelques semaines, j’ai donc posé des détecteurs de fumée dans tous mes logements… Je ne critique pas leur mise en place qui, dans certain cas peuvent s’avérer utiles, mais je conteste le caractère obligatoire de cette mesure. Imposer ces appareils dans les cabanes, ne se justifie pas, puisque toute flamme y est strictement interdite et qu’il n’y a pas d’électricité. Mais une fois de plus, c’est inscrit dans une procédure, alors j’obéis, résigné, en gardant ma liberté de penser…

Je fais des trous au plafond, je pose le matériel (ça fait moche), tous les mois je contrôlerais son fonctionnement et tous les ans je changerais la pile… (dans chaque cabane aussi !).
Bientôt sans doute on m’obligera à en équiper toutes les pièces des habitations, pour une efficacité maximale. Puis viendra le tour des détecteurs de monoxyde de carbone, puis des extincteurs… On a déjà vécu l’exemple des gilets jaunes fluo dans chaque voiture, dont la quasi-totalité ne serviront jamais.


J’ai été contraint également d’installer une magnifique parabole blanche au-dessus de mon toit… j’en rêvais. La présence de cette antenne moderne sur mes vieilles tuiles est devenue indispensable pour l’utilisation d’internet. Car voyez-vous ici, près de Paris, nous n’avons pas droit à l’ADSL filaire et encore moins à la fibre optique. Nous sommes obligés d’avoir notre propre installation satellitaire pour obtenir un ‘haut débit’, très relatif, sur le Web.
Celui-ci existait déjà à Frévent, mais devait être modernisé par le remplacement du matériel qui améliore les performances. Je me suis donné six heures pour effectuer cette transition. Temps pendant lequel je ne recevrais plus vos messages.

Un jour où la météo est au beau fixe, je place les échelles sur le toit pour accéder au mat d’antenne. D’un pas décidé, je commence à gravir les barreaux. Au fur et à mesure de mon ascension je sens mes jambes flagellées et perdre de l’assurance. Arrivé en haut de l’échelle, un pied posé sur le faîtage, c’est avec les mains moites que je dépose l’ancienne installation qui a bien failli m’emporter avec elle dans sa descente au rebus. Je remonte ensuite avec la nouvelle, pourvu de protection blanche, étincelante et plus lourde que la précédente. Je la fixe, je la relie par un nouveau câble à mon nouveau modem, puis arrive la phase d’orientation de la parabole. Toujours en équilibre sur le toit et guidé par des bip-bip aigües à vous percer les tympans, j’aboutis enfin au réglage optimum.
Vient ensuite la procédure d’activation du nouvel abonnement…qui a bien du mal à trouver son terme. Soit… au bout de 24 heures, Internet marche bien avec un débit de compétition. Mon installation wifi est opérationnelle et les polonais en séjour dans les gîtes peuvent enfin l’utiliser pour dialoguer avec leur famille (skype). En conséquence, au bout d’une semaine, plus de débit, le quota d’abonnement mensuel a été épuisé.
Alors il me faut prendre un abonnement plus chère… mais toujours limité.

Comme vous pouvez le comprendre, mes amis, cela devient très difficile de vivre en campagne, et cela coûte de plus en plus chère. Il est vrai que les petits décideurs d’aujourd’hui, chargés de redistribuer les fonds publics sont de moins en moins familier à cet univers et sont plus préoccupés par le ratissage des électeurs que par la gestion du territoire qui pourtant fait partie intégrante des charges de l’état. Comme je suis le seul électeur à trois kilomètres à la ronde, ils ont fait le choix de me laisser tomber, de m’oublier, sachant bien que mon efficacité à me rebeller, si elle s’éveille, sera bien dérisoire et ne risquera pas de les ébranler.
Alors je dois me débrouiller tout seul. Car le jour où mes clients ne capteront plus internet à Frévent, ils ne viendront plus. Si personne ne vient plus ici, je serais contraint de partir aussi.

Que restera-t-il alors du petit morceau de campagne que je m’efforce de faire vivre actuellement ? Qui entretiendra les fossés, les allées, les points d’eau pour les animaux, les parcelles d’herbes grasses, les arbres pour en tirer du bois et les bâtiments pour écrire l’histoire ? Qui s’occupera de contingenter les animaux pour qu’une race ne prenne pas le dessus sur l’autre, de contenir les maladies, les parasites, les adventices pour qu’ils ne déciment pas leur victimes… jusqu’aux portes des cités. Qui animera ce petit espace de nature dans lequel il vous est si agréable de venir vous ressourcer ?

Les élus de la France, qui ne semblent plus être au commande de quoi que ce soit (si bien protégés par les procédures qui dictent leurs décisions), devraient prendre conscience qu’un pays, ce n’est pas uniquement des grandes métropoles où se trouvent un électorat et où on doit y concentrer par conséquent toutes les infrastructures de progrès. Un pays, c’est aussi un espace en 3D allant du Nord au Sud, d’Est en Ouest et du niveau de la mer au sommet des montagnes. Un relief que l’on doit utiliser en le rendant exploitable. Il faut donc y répartir des habitants, y entretenir la présence humaine… y maintenir la vie avec tous les impératifs que cela comporte.

Abandonner cette étendue en laissant des déserts médicaux s’installer, en supprimant les services administratifs et les équipements utiles à la vie actuelle, c’est inciter ses occupants à venir se réfugier dans les grandes villes. Si l’on regarde plus loin dans le temps, celles-ci seront à leur tour un jour aussi défavorisées et délaissées au profit d’une seule et grande métropole. Ce n’est pas ma conception de l’équilibre démographique d’un pays.
Son harmonie de vie ne peut en être qu’altérée. Je vous laisse en imaginer les conséquences.

Heureusement je suis là, pour trouver des solutions et me battre au maintien de ma présence et celle de ma famille, dans ce lieux, si proche de la capitale et pourtant déjà abandonné par la nation. Heureusement qu’il y a encore des gens comme moi, répartis ici et là, dissimulés derrière les arbres, les taillis, les collines pour qu’au bout de petites routes sinueuses et bucoliques à souhait, vous trouviez quelqu’un pour vous accueillir vous renseigner, ou plus sournoisement … vous égorger !
Ah non, ça c’est l’effet de la pluie qui vient de cesser de tomber sur le carreau de ma véranda. Le vent a balayé les nuages plus vite que prévu ce qui entraîne mon humeur gaillarde.

Ça va déjà mieux !

Hervé