domaine de frévent

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dimanche 19 avril 2015

La foulée dominicale



C’est parti pour une heure de course à pied, petite foulée, direction la Chapelle Rablais, puis retour sur Frévent et direction Echouboulains. Environ douze kilomètres d’effort et de transpiration. Loin d’être une performance olympique, c’est une performance hebdomadaire qui a débuté il y a trente ans déjà. Bon pour le corps, bon pour l’esprit. C’est surtout pour moi, un grand moment de méditation. Une heure d’évasion dans des réflexions des plus diverses. Accompagnées des bienfaits de l’endorphine, elles en deviennent plus digestes.

Au fur et à mesure de mes enjambées, je sens mon organisme se modifier, s’adapter. Je laisse la machine infernale qui constitue mon anatomie passer en pilotage automatique. Elle laisse mon nœud sinusal contrôler les impulsions électriques qui déclenchent mes contractions cardiaques. Mon sang est oxygéné en passant par mes poumons, puis repart nourrir mes muscles qui éprouvent d’avantage le besoin d’être alimentés. Ces derniers se réchauffent, ils s’animent progressivement. Ils mettent en mouvement mon squelette qui va subir là, une épreuve d’endurance.

Sang bleue, oreillette droite, ventricule droit,
Sang rouge, oreillette gauche, ventricule gauche.
Je sens mes artères se dilater sous ce flux sanguin qui augmente. Ma cage thoracique se gonfle plus qu’à l’ordinaire pour permettre à mes poumons d’ingurgiter de l’air en abondance. Le fonctionnement de mes organes dans cette activité croissante échappe à mon contrôle. Je dois faire confiance à mon calculateur cérébral et surtout ne pas chercher à faire obstacle à ses automatismes.

Il est temps de s’évader, de penser à autre chose. J’arrive au premier village. Les cloches de l’église sonnent. C’est la sortie de la messe, qui me donne lieu à penser qu’il y a quarante ans, je faisais parti de ces personnes qui sortaient de l’église à cette même heure. J’étais enfant de cœur, oui madame !...Je servais la messe tout au moins avant ma communion solennelle. Avec mes copains du moment, nous prenions la direction de l’église où le prêtre nous attendait tous les dimanches matin. Il fallait arriver un quart d’heure avant l’office pour se préparer et faire sonner les cloches. Direction la sacristie où nous devions nous habiller d’un costume des générations passées que nous étions les derniers à utiliser. Il se composait d’une longue soutane rouge avec multi boutons sur le devant, puis d’une aube blanche à dentelle sur le dessus. Nous aidions parfois le prêtre à revêtir ses habits liturgiques.

Sang bleue, oreillette droite, ventricule droit,
Sang rouge, oreillette gauche, ventricule gauche.
Tout semble fonctionner … Le rythme est donné et la transpiration exulte. Comme une femme enceinte qui a envie de fraise, j’ai soudain une envie d’une barre vitaminée. Il me faudra attendre l’arrivée pour la savourer.

Une fois habillé comme des dignitaires de l’église, nous prenions chacun notre chandelier que monsieur le curé avait pris soin d’allumer avec sa bougie. Quand nous étions prêts, il prenait le chemin de l’autel en traversant l’église par l’allée centrale, au milieu de ces ouailles. Nous le suivions en cortège, bien alignés deux par deux, formant ainsi sa cour. C’était une époque où les églises étaient encore très fréquentées pour l’office dominical. Arrivé au sanctuaire, le prêtre se retournait, les mains jointent. Nous posions alors les chandeliers et nous nous agenouillons devant lui.

Sang bleue, oreillette droite, ventricule droit,
Sang rouge, oreillette gauche, ventricule gauche.
Je ressens un léger point de côté, je passe à trois expirations pour deux aspirations. Mes cuisses prennent une coloration rougeâtre. Pas de panique, cela est dû au flux sanguin qui s’accélère.

J’étais chargé le plus souvent de faire sonner le carillon au sanctus et à l’élévation de l’hostie. Un coup à tel moment, un autre coup ensuite, puis trois coups, Reposer le carillon sur ma gauche, puis le poser à ma droite… Tout un rituel rythmé par les mots et les gestes du prêtre que je ne quittais pas des yeux à ce moment-là. Je me souviens du regard assassin qu’il me lançait à la moindre faille de ma part. Interrompant brutalement sa communion, ses sourcils se fronçaient et des rides prononcées apparaissaient sur son front dégarni. Il me fallait vite rectifier mon erreur car c’était un moment crucial de la cérémonie.

Sang bleue, oreillette droite, ventricule droit,
Sang rouge, oreillette gauche, ventricule gauche.
Je ressens une petite douleur à la cheville gauche, j’espère la voir disparaître rapidement. Mon corps se réchauffe de plus en plus. Même pas fatigué !...

Nous avions des bancs pour nous assoir devant la nef principale à certain moment de la messe, et notamment pendant l’homélie. C’est de là, qu’un jour nous avons vu de la fumée noire s’élever dans le dos de monsieur le curé. Celui-ci s’était trop reculé sur le devant de l’autel où les cierges étaient allumés. Levant les bras au ciel dans sa prière, sa chasuble prit feu. Les vieilles dames placées derrière nous se sont précipitées sur lui, pour éteindre les flammes de l’enfer qui l’envahissaient. Assistant au spectacle, nous n’avons pas eu le temps de réagir que l’incendie était déjà éteint. Plus de peur que de mal s’écriaient les adultes ! Ce fait divers a alimenté nos conversations ‘récré’ pour la semaine qui suivait.

Sang bleue, oreillette droite, ventricule droit,
Sang rouge, oreillette gauche, ventricule gauche.
De la sueur coule de mon front. Ma machine a atteint sa température de croisière. Elle se sent capable d’aller jusqu’au bout du monde…

Et puis, il y avait la quête avec un circuit et une synchronisation bien défini. A tour de rôle, nous étions deux, affecté à cette tâche. Les petits paniers bien remplis étaient déposés sur des plateformes en bois situées de chaque côté de la nef. Nous étions trop jeunes, ou trop disciplinés, pour avoir ne serais-que l’idée de se servir de quelques pièces avant de rejoindre notre place. Arrive ‘enfin’ l’épilogue de la messe. Monsieur le curé décrit son agenda pour la semaine à venir. Il finit en nous regardant et dit en souriant :
« Et Mercredi, il y aura le catéchisme,… comme d’habitude ».

Sang bleue, oreillette droite, ventricule droit,
Sang rouge, oreillette gauche, ventricule gauche.
J’arrive bientôt à Frévent. Plus que quelques mètres pour laisser les fonctions vitales de mon organisme se détendre et ralentir doucement.

« Allez dans la paix du christ…. Amen ». Le prêtre reprenait le chemin de la sacristie. Nous le suivions en cortège avec nos chandeliers à la main. Le fait de servir la messe pendant ces quelques années de ma vie, n’a pas suffi à faire de moi un bon catholique. Cela laissera cependant ce souvenir indélébile d’une aventure qui pour la première fois, nous élevait, mes copains et moi, au rang d’indispensable dans le fonctionnement d’une cérémonie. Derrière nos rires, nos moqueries d’enfants, il y avait une ébauche de responsabilité face aux exigences de monsieur le curé et à la spiritualité en générale. C’est peut-être ce qu’il avait voulu nous enseigner d’ailleurs. Auquel cas, il a réussi car à chaque fois que je remets les pieds dans une église, je retrouve en moi le poids de la rigueur et du respect qui m’enveloppais à cette époque.

Sang bleue, oreillette droite, ventricule droit,
Sang rouge, oreillette gauche, ventricule gauche.
Je m’arrête de courir. Il n’y a eu aucune faille de révolution cardiaque, pas d’AVC ni de rupture d’anévrisme. Sous l’influence de l’endorphine bienveillante, se dessine devant moi, un avenir radieux. Pendant un court moment, tous mes problèmes vont trouver une solution. Comme il y a quarante ans en sortant de la messe, je me sens bien… léger et parfaitement détendu. Le dimanche après l’office religieux, une fois rentré à la maison, c’était place à la liberté, place aux jeux pour l’enfant que j’étais. Aujourd’hui, ce sera temps libre comme auparavant… A moins d’être sollicité par un locataire de Frévent cet après-midi.
Je vais de ce pas accomplir mes étirements musculaires pour éviter les courbatures du lendemain et boire de l’eau… beaucoup d’eau. Je reprendrais ce cérémonial dimanche prochain… comme d’habitude.


Hervé


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