domaine de frévent

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lundi 11 juillet 2016

Je ne suis que de passage...


J’ai envisagé plusieurs fois de dresser un inventaire des actions à mener ici pour m’aider à l’entretien de la propriété. Une façon de clarifier les choses, de les ranger de ne pas les oublier et aussi de laisser une trace de ce que je fais. Personnellement, je sais gérer toutes ces interventions et même si je n’arrive pas à y faire face en totalité par manque de courage ou de temps, je les connais bien. Je me dis qu’un jour, si mon fils daigne participer, ou si je dois me faire accompagner dans ma tâche, cette liste écrite pourra être d’une grande utilité.

Je l’ai envisagé, puis j’ai renoncé… C’est comme pour écrire sur ce blog, les idées géniales viennent au moment où on ne s’y attend pas et où il nous est impossible de les développer pour les rédiger. On essaye de les garder dans un coin de la tête puis au cours du temps elles se troublent, se ternissent, s’oublient souvent. Au moment de les mettre sur le papier, elles semblent moins lumineuses alors on les abandonne pour d’autres plus réfléchies mais moins percutantes, et on se dit ‘ça ne vaut pas la peine de l’écrire’.

Alors j’ai essayé une méthode plus engagée. Avec un petit carnet à la main, je me suis mis à marcher dans le jardin. A chacun de mes pas une pause était nécessaire pour noter- Un piquet à changer, un grillage à retendre, un creux de terre à combler… Un autre pas- Désherbage méticuleux ici, insecticide en urgence sur cet arbuste… Un autre pas – tuteur à poser, branche à élaguer, petit sapin à déplacer… et ainsi de suite. En quadrillant le parc de cette façon il y aurait eu de quoi écrire un livre gros comme un dictionnaire.

Tout cela ne servirait qu’à atteindre une perfection ‘juste pour le plaisir’, mais surtout non rémunératrice. Le paysage ici n’a pas besoin d’être parfait pour que le ‘business fonctionne’. Les clients viennent par ma représentation sur internet vis-à-vis du service que je propose et non pas pour voir si le jardin est ‘trop beau’. L’entretien se fait avant tout dans l’image, la photographie instantanée et non plus dans le vrai, le réel qui permet la subsistance dans le long terme comme autrefois. Je devrais surement me contenter d’un juste milieu entre la propreté du lieu (gazon bien tondu) et la performance paysagère à laquelle je suis peut-être trop attaché.

« Le paysage est une construction culturelle qui fait appel au registre du sensible ». Et sensible je le suis quant à la vue d’un décor naturel qui met en valeur l’attrait d’un bâti dans lequel je vis. Alors à défaut d’une programmation bien établie, je tonds quand je m’aperçois que l’herbe est trop haute, je taille quand les haies plient sous le poids de leurs nouvelles pousses, j’élague les branches quand elles atteignent le sol etc… J’égraine ainsi les interventions au fur et à mesure de la saison. Pas très professionnel tout cela mais à en croire les gens qui passent « le parc reste bien entretenu ».

Je n’attends aucune reconnaissance de ce résultat si ce n’est la fierté d’un travail bien accompli pour un environnement de vie agréable. Je ne crois pas facilement en la sincérité des compliments que l’on m’adresse. Même s’ils me font plaisir à bien des égards, je reste persuadé que beaucoup font partie d’une simple formule de politesse.

Il y en a un cependant …

C’était en été 2009 il me semble, alors que le jardin prenait forme, je reçus un dimanche après-midi la visite d’un monsieur distingué. Il était très âgé, marqué par les années d’efforts d’une vie bien accomplie. Accompagné de sa famille, il sortit avec difficulté de sa voiture qu’il ne conduisait pas.

Grand, la poignée de main encore ferme, il est venu me saluer et se présenta à moi comme l’ancien exploitant de la ferme d’à côté (la ferme de tourneboeuf) qui était à l’époque l’une des plus importantes fermes de la région. Il disait avoir bien connu mon prédécesseur à Frévent et me félicita pour l’entretien du parc.

Je me souviens de cet instant fugace par deux petits mots prononcés de sa part au moment de me dire au revoir. Ils suffirent à me combler de satisfaction et de fierté et firent de moi pour la première fois ici… le maître des lieux.

Il m’a dit : la propriété est ‘bien tenue’. C’est à ces mots auxquels j’aime m’accrocher quand j’ai des moments de doutes sur l’efficacité de mes actions, qui ne sont jamais sans conséquence financière. Une façon de me rassurer en me disant ‘ça vaut le cout de faire cela’. Lui, vieil homme de la terre, connaissait bien la teneur des choix à observer pour en faire assez sur un paysage mais surtout ne pas en faire de trop non plus. Comme en toute chose, l’équilibre est fondamental, et il me plaît à croire que derrière ces mots, je l’avais atteint.

A la campagne, on n’est pas chez ‘Disney’ et notre objectif n’est pas de représenter l’atmosphère des dessins animés. Pour lui comme pour moi, tenir Frévent ce n’est pas de veiller à ce qu’il n’y ait pas le moindre petit brin d’herbe qui pousse sur une allée, encore moins de le laisser l’envahir, mais de simplement le contenir.



Un citadin ne peut comprendre cette subtilité même s’il arrive à en prendre connaissance. L’homme doit respecter la nature en y prenant une petite place, juste ce qu’il faut pour la dominer, mais sans que cela ne l’empêche de s’exprimer. C’est un combat qui, selon moi est plus important à mener que d’interdire quelques matières actives de produits chimiques qui nous font peur tellement ils nous simplifient la vie. Mais ce n’est pas moi que les français ont choisi pour traiter des sujets sur l’écologie… c’est une citadine !

Le vieil homme est mort peu de temps après sa visite, je l’ai appris par un voisin. Que reste-t-il de son action sur notre paysage aujourd’hui ? Il n’a été que de passage dans cette ferme et y a laissé des traces qui ne portent pas son nom mais dont on profite encore, tel que des drainages pour assainir certaines parcelles par exemple, ou des arbres qu’il a plantés et qui demeurent toujours debout.

Quand je ne serais plus là, à défaut d’avoir pu laisser un vieux parchemin décrivant mon travail, j’aime à penser que ceux du futur (s’ils ne vivent pas sur une autre planète) profiteront de ce que j’ai planté, construit ou aménagé. Très vite, personne ne se souviendra de moi mais le lieu peut-être, laissera une marque apparaître sur l’ombre d’un vieux chêne, représentant ma silhouette dessinée sur le sol comme pour dire à ceux qui se reposent… c’est un peu grâce à lui.

Hervé