domaine de frévent

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vendredi 6 mars 2015

La goutte d'O...




Il pleut, beaucoup en ce moment. Il neige aussi, puis la neige fond et il repleut. Nous sommes en Février, tout est normal… à un détail prêt, il pleut aussi dans la maison. Hier en regardant fondre la neige à l’extérieur, j’ai senti tombé sur mes cheveux, une goutte d’O. Elle a atteint mon crane et est venue glisser sur mon front. Je l’ai essuyé d’un revers de ma main droite, pour mettre un terme à sa descente.
Le premier réflexe de l’enquêteur que je suis me conduit immédiatement à lever la tête pour voir d’où venait cette intrusion. J’ai aperçu une deuxième candidate au grand saut, suivie d’une troisième puis d’une quatrième. Le linteau en chêne de la fenêtre de la cuisine laissait passer l’ennemie comme une passoire.

Arrive alors le deuxième réflexe qui cherche à définir depuis combien de temps l’envahisseur utilise cette brèche dans le mur. Le regard baissé, je constate au sol, une petite flaque sans conséquence. L’invasion est donc récente, mais elle doit être stoppée rapidement pour ne pas dégrader la structure de la maison.
L’eau répandue dans le mur, peut geler et déplacer des pierres. Ce qui engendrera ensuite des fissures. Elle peut aussi imprégner les parties de bois et les rendre favorable au développement de champignons et parasites nécrophages. Le bois pourrit, les liteaux se cassent, les tuiles glissent… et la ruine apparaît.

Tant de bâtiment du patrimoine historique ont déjà dû subir ces évènements. A l’image des églises que l’on veut détruire aujourd’hui faute de moyens pour les réparer. Si certains avaient eu l’œil et la délicatesse d’intervenir afin de neutraliser la goutte d’O avant qu’elle ne cause des ravages irréversibles, nos édifices religieux ne seraient pas en ruine aujourd’hui. L’entretien régulier de ces constructions n’est pas une histoire d’argent qui pourrait manquer, mais d’observation qui a échappé à ceux qui en avaient la charge. Dévier la route que prend une goutte d’O, en tant que telle, ne peut pas occasionner des travaux importants.

Ce matin, la météo me permet de monter sur le toit. La neige est fondue et il ne pleut pas. Je vais chercher l’échelle et la met en place, en appui sur la gouttière, face à la zone contaminée. Je monte et constate du premier regard que rien d’apparent ne peut constituer un barrage à l’écoulement naturel de l’eau sur les tuiles. Pas de tuiles cassées, pas d’amas de mousses... Juste une lucarne à cet emplacement. Ces étanchéités sont peut-être défaillantes. L’enquête ne va pas être simple.

Je commence à enlever les tuiles rangée par rangée, en les mettant soigneusement de côté pour les replacer ensuite dans le même ordre. Un effeuillage du toit de la maison qui a pour objectif de définir le cheminement de la goutte d’O. La gravité l’entraine toujours vers le bas malgré les obstacles qui vont se dresser sur sa route. Différents scénarios s’enchainent dans ma tête. Elle est passée par là, s’infiltre par ici, puis rencontre cette autre tuile, glisse dessus jusqu’à ce passage et s’étale enfin sur cette partie en zinc… Rejoint par des copines elle se reformera pour reprendre sa route le long de cette cornière qui la conduira sur la tuile du dessous. Mais…. Si elle est bloquée dans sa descente par des particules coincées ici, elle s’arrêtera et grossira jusqu’à déborder sur la gauche ou rien est prévu pour la reconduire sur l’extérieur.
Et c’est une porte ouverte pour se glisser vers le matériau d’isolation qui se trouve au-dessous puis pénétrer et se répandre dans le mur en pierre assemblé au mortier de terre. Le défilé des gouttes d’O commence ainsi à envahir la structure jusqu’à saturation, pour inonder l’intérieur de la maison….où il sera heureusement détecté par des personnes attentionnées.

Dans mon cas, une simple plaque de zinc mis en forme pour s’insérer entre les tuiles jusqu’à l’étanchéité de la lucarne, suffira à mettre un terme à cette tentative d’invasion. Placée en sandwich entre les tuiles qui se chevauchent, elle ne se remarquera pas. De toute évidence elle aurait dû être mise en place dès la construction de la toiture. Une négligence du couvreur peut-être, mais bien pardonnable quand on connait la difficulté à imaginer le cheminement de l’eau contournant les résidus qui s’interposeront sur sa descente à travers le temps. Car l’exercice est difficile n’en doutez pas. Jadis il y avait les compagnons pour maîtriser ses difficultés. Aujourd’hui, à l’époque du ‘tout standard’, les maîtres couvreurs ont quasiment tous disparu.

Il existe à présent des formations en ‘conservation du patrimoine’. Bien sûr, notre époque veut qu’elles soient brillamment couronnées par un « Master ». Je ne sais pas de quoi se compose cette formation. Je devine qu’avec un tel niveau d’étude il doit y avoir de la maîtrise des textes, des règlementations, de la connaissance en histoire aussi je suppose. Personnellement, je ne demanderais qu’une chose aux lauréats de cette discipline: de savoir détecter la trace d’une goutte d’O. C’est basique (et ironique) j’en conviens, oui mais voilà… C’est essentiel et destiné à servir concrètement nos monuments historiques.

Bien des individus mériteraient de se faire botter les fesses pour négligence d’attention vis-à-vis de du patrimoine qu’on leur a confié. La séparation de l’église et de l’état ne justifie en aucun cas ces lacunes, car sans grands moyens financiers, il était possible de garantir un entretien pérenne de ces monuments. Il ne fallait pas les abandonner.
L’observation permettait de faire d’un petit rien, une action importante pour éviter la dégradation.


Hervé

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