domaine de frévent

domaine de frévent

samedi 29 novembre 2014

La bouse et le froment


Selon la réflexion de certains, de là ou je vis, il n’y a rien devant, rien derrière et rien sur les côtés. (Rien, voulant dire ‘pas d’êtres humains’, à croire que la vie sur terre pouvait se réduire qu’aux rapports humains) 

Cette réflexion est accompagnée souvent d’une autre très imagée : « pour aller chercher du pain ici, il faut faire des kilomètres, tu ne peux pas y aller à pied ».

Si je peux mettre en avant bien des inconvénients à vivre à la campagne, ils n’ont rien à voir avec ceux évoqués précédemment. Et par comparaison, pour avoir vécu en centre-ville pendant quelques années, je crois pouvoir en parler en connaissance de cause.

A Frévent, en guise de ‘Rien’, il y a des animaux et des végétaux. Leur seule présence quand je sors de la maison me ramène à comprendre tous les matins que je ne vis pas dans une atmosphère fabriquée par l’homme et pour l’homme, mais très exactement dans la nature et pour elle-même. Mais ça, c’est mon point de vue et ce n’est pas le propos de ce feuillet.

C’est plutôt de la petite image qui s’y rattache dont j’ai envie de vous parler car cela éveil en moi une certaine nostalgie. En effet, pour s’approvisionner en pain aujourd’hui il y a les congélateurs. Ils nous permettent de ne plus avoir à sortir de chez nous pour avoir du pain frais le matin sur la table du petit déjeuner. Simple question d’organisation. Quand les congélateurs n’étaient pas si répandus, il régnait une autre ambiance à la campagne, et peut être un peu plus de contrainte qu’aujourd’hui.

J’en garde un souvenir d’enfance. Si l’on se permet de remonter une quarantaine d’années en arrière. J’aimais passer mes vacances en creuse, chez ma marraine. Lieu de campagne profonde par excellence (déjà à cette époque). J’avais une dizaine d’années, et l’aventure du pain avait lieu tous les trois ou quatre jours environ. Le boulanger préféré de mon oncle se trouvait à Anzème, à 10 kilomètres de la ferme. On y allait avec la 2 CV grise, (façon ‘le gendarme de saint Tropez’ mais sans la bonne sœur). Démarrage en côte par secousse et trajectoire ondulatoire. Le tout piloté par le levier de vitesse à tirette et le volant métallique. (Je ne sais pas si c’est dans mon imagination mais je crois bien qu’il fallait la démarrer à la manivelle !)

Sur le chemin, pour l’enfant observateur que j’étais, c’était un défilement de décors de scène de théâtre. Les champs étaient animés, au gré des saisons, par des paysans, des animaux, des tracteurs ou des cultures. Les activités qui s’y déroulaient, étaient différentes tout au long de l’année. Il y avait les foins, les moissons, les labours et les semis. Tous ces tableaux m’en disaient long sur l’ambiance dans laquelle je me trouvais.

La traversée des villages et des hameaux selon l’heure, était jalonnée par les activités provinciales. Je me souviens de la place du marché, particulièrement animée certains jours. Fréquemment sur la route, nous étions bloqués par… un troupeau de vache en déplacement de pâturage. Rien avoir avec les transhumances, mais il fallait attendre qu’elles aient atteint leur destination pour pouvoir continuer à rouler. Elles faisaient leurs bouses sur la chaussée et nous roulions dedans ensuite. Trop marrant !



Puis nous passions par les gorges de la creuse qu’il fallait franchir. La route était très sinueuse à la descente vers le pont. Elle était bordée par des grands sapins et d’énormes rochers. Mon oncle faisait grincer les freins avant les épingles à cheveux et l’hiver quand la route était glissante, eh bien…on serrait les fesses ! Là encore, selon la couleur des arbres, de la route ou le débit de la rivière, nous étions placés dans des ambiances différentes. Après la remontée du pont nous arrivions à la fameuse boulangerie. Mon oncle achetait là, le pain de campagne pour les prochains jours. Il était gros ce pain, bien plus gros que tous ceux que l’on peut avoir dans une boulangerie aujourd’hui, même sur commande. On ne fait plus des pains comme cela maintenant (près de 1 mètre de longueur).



Cela ne doit plus pouvoir entrer dans les fours modernes, ou tout simplement dans la comptabilité matière de notre époque. Non ! En fait ces pains devaient alimenter la famille pendant plusieurs jours sans durcir dans la maie. Il est devenu inutile de les faire si gros à présent. 
Pour ma part, et sous condition d’un beau sourire, j’avais des bonbons.

Ensuite nous repartions à la ferme dans le sens inverse, accompagné d’une bonne odeur de froment bien levé qui remplissait généreusement l’habitacle de la voiture. C’était la même route et pourtant les décors étaient différents. L’heure avait tournée, le soleil aussi et la scénographie avait changée. Voilà de quoi alimenter encore mon émerveillement face à ces images de la vie campagnarde. J’éprouvais déjà beaucoup de plaisir à contempler les éléments naturels et à admirer ce monde en effervescence autour de moi.
A la même époque, le citadin qui achetait son pain chez le boulanger en bas de chez lui ne pouvait profiter d’un tel spectacle…Et je le plains ! Même s’il pouvait y aller soir et matin, la démarche en était que morose. 

Aujourd’hui je fais toujours 10 kilomètres pour aller chercher le pain. Je ne fais pas souvent ce trajet car avec les petits déjeuners des chambres d’hôtes, je suis approvisionné au domaine. 
Mais quand j’en ai l’occasion, chemin faisant, je prends toujours plaisir à observer les prairies, les champs et les forêts pour savoir ce qui s’y passe aux gré des saisons et vivre ainsi en symbiose avec ce que m’apporte la nature et de manière plus générale, la vie.

D’un jour à l’autre, il y a des chevreuils qui broutent à l’orée du bois, les sangliers qui ont ravagés le maïs de François pendant le nuit, Le chien de Catherine qui coure comme un fugitif, la queue entre les jambes, Dominique qui sème son blé avec son nouveau 'John deere', Germain qui sort ses vaches (qui d’ailleurs ne traînent plus sur la route comme autrefois). Et quand il y a de la neige, eh bien je m’amuse un peu !... euh non, pardon… je fais très attention. Mais en tout cas, je sais qu’il y a de la neige…

Ah ! quel bonheur, mes amis, d’être loin de la boulangerie pour pouvoir apprécier tout cela.


Hervé

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire