domaine de frévent

domaine de frévent

vendredi 16 janvier 2015

Le couteau perdu

Albert ne sait plus trop ce qu’il doit faire. Le travail que lui a confié son père est bien avancé. On est en automne, les arbres sont encore feuillus et il n’a pas vu arriver les soldats du seigneur des lieux. Il n’y a personne dans la ferme plus bas et il est très esseulé avec sa petite sœur qui l’aide à finir la parcelle. La terre est fraîchement retournée et le blé posé sur un lit de semence bien émietté. Les sabots des chevaux de ses messieurs piétinent le sol qui se tasse sous le poids des montures.
                                 
Ils sont trois, et après avoir traversé le champ de part en part, ils tournent en rond autour de Mahault qu’ils aimeraient bien se partager comme on savoure une friandise. « Dis-moi jeune fille ce n’est pas un travail pour toi, ça. Tu vas abîmer ta douce peau. A ton âge, une jolie fleur comme toi ça ne traîne pas dans les champs». La pauvre, effrayée, les fixe du regard l’un après l’autre à en avoir le tournis. Regardant la scène, Albert ne peut pas rester inerte et doit faire preuve de fermeté face à l’attitude de ces hommes. Il ne faut surtout pas les provoquer. Sa sœur risquerait d’en faire les frais.
La pluie commence à tomber. Il avance d’un pas pressant au-devant des cavaliers et s’adressant au meneur, il lance d’un ton autoritaire: « Et toi là-bas, passe ton chemin et laisse nous donc travailler ! » Le cavalier attendait ce genre de réflexion de la part du jeune homme. Valdemar le chauve n’était pas un mauvais garçon, mais devant les deux autres, il décide de réagir. Du haut de son cheval, il se penche pour agripper la liquette de chanvre de Mahault et d’un geste brusque, la déchire violemment, jetant à terre la jeune fille. Se retrouvant seins nus elle coure se réfugier dans les bras de son frère.
Le soldat approche, descend alors de son cheval et pose sa main gantée sur le pommeau de son épée. Pauvre Albert, lui qui voulait éviter la provocation. Il n’avait pour se défendre que sa houe à manche en bois et un couteau qu’il gardait précieusement dans une encoche de sa ceinture. Ce couteau lui a été donné de son grand père, Réoval le fromenteux, qui lui-même l’avait reçu d’un aïeul l’ayant récupéré lors d’un combat sur un sol par-delà les mers.
On lui a raconté beaucoup d’histoire enchanteresse sur cet objet de famille qui vient de loin. Il y tenait beaucoup et ne s’en séparait jamais. Il place sa petite sœur derrière lui pour la protéger et empoigne fermement son outil agricole dans ses mains pour montrer qu’il est prêt à se battre. La pluie ruisselle sur sa figure et le sol se transforme en gadoue. Nullement impressionné, le cavalier de cuir vêtu sort son épée du fourreau et d’un mouvement violent de ses deux bras projette la houe du jeune paysan à vingt mètres plus loin. Ainsi démuni, Albert prend son couteau qu’il présente devant lui face à l’adversaire.
Le combat semble perdu d’avance, mais il a remarqué que le soldat avait du mal à se déplacer dans cette mélasse de terre qui collait à présent et glissait sous les pieds. Lui, équipé de chaussures à bandelettes et plus habitué au terrain, en avait une plus grande agilité. Il se met alors à bouger autour du soldat et se prépare à esquiver les battages d’épées qu’il allait lui infliger.

Valdemar, considérant qu’il venait de donner une leçon au jeune paysan et que cela devait suffire à pouvoir récupérer la fille, ne semblait pas troublé par cette attitude qu’il trouvait ridicule. Il regarde fixement la petite arme qui lui est opposée à présent. Sa forme particulière, peu rependue dans nos contrées, avait une signature qui ne lui est pas inconnue. Mais ce qui le fige sur place, c’est la couleur du métal dans lequel fut forgée la lame. Il avait guerroyé outre-manche, avait déjà eu à faire à cette matière qui ne pouvait provenir que de là où il l’avait rencontré. Cet acier est extrait d’un minerai issu d’une petite veine souterraine à présent épuisée et dont la fusion a été réservée au seigneur d’une peuplade Barbare vivant au sud de l’Angleterre. Celui-ci en équipait exclusivement ces proches et ses hommes d’armes. Les lames ainsi forgées ont des pouvoirs maléfiques que Valdemar a déjà dû affronter avec effroi. Tout contact avec un autre objet métallique le fait disparaître sur l’instant. Il en avait déjà perdu plusieurs épées et boucliers, le laissant sans armes devant l’ennemi. Ne souhaitant pas renouveler cette expérience, il n’ose affronter le paysan. « Comment as-tu eu ce couteau, petit, qui te l’a donné ? - Mon père me l’a donné, répondit Albert d’une voix frêle, en se pissant dessus ». Beaucoup de questions traversent alors l’esprit du cavalier qui, emplit de diableries funestes, ne se souciait plus guère de la convoitise de Mahault. Il doit prendre le temps de réfléchir et décide de laisser là l’affrontement. Il range son épée et retourne à sa monture. Ses deux acolytes se mire à rire tellement le petit homme semblait soulagé à présent. « Laissons donc cette paysanne continuer à se traîner dans la boue, lança Valdemar, quant au garçon… nous reviendrons le voir plus tard » Voyant le danger s’éloigner, Albert prend sa sœur par la main et l’entraine en courant dans la porcherie voisine. Ils s’enferment avec les gorets et attendent cloîtrés le retour de leurs parents.
Dans l’affolement et avant de courir se cacher, Albert a laissé tomber son couteau dans la boue. Le lendemain et surlendemain, il a beau fouiller le sol, il ne retrouve pas son objet de famille qui reste donc enterré, puis oublié à jamais.


Ce matin, en bêchant le massif de rosier situé à l’emplacement même où s’est déroulée cette histoire (inventée de toute pièce), voilà que je mis à l’air, en soulevant la terre, le fameux couteau, dont la lame avait fait fuir les écuyers.

En fait, je voulais vous raconter que j’avais trouvé un vieux couteau rouillé en travaillant la terre et je ne savais pas trop comment m’y prendre. Compte tenu de l’actualité plutôt mouvementée, je me suis dit qu’une petite histoire rocambolesque et peu attendue vous changerait les idées.
L’outil que j’ai trouvé est d’assez grande taille, mais très rouillé et bien esquinté. Je pense qu’il s’agit d’un couteau, mais je n’en suis pas sûr. Il m’arrive souvent de trouver des objets métalliques dans la terre. Des gonds, des grosses clefs, un sécateur, un poids de pendule... Mais rien qui puisse éveiller mon inspiration comme cette lame de couteau. Je ne crois pas qu’elle soit maléfique.(à moins que par la suite...)

Alors je me suis laissé transporté avec plaisir dans cet univers rude où le fanatisme religieux existait bel et bien déjà, mais il ne provenait pas encore de l’Islam. On s’en préservait en rendant coup pour coup. C’était une autre époque (je ne sais pas laquelle d’ailleurs), et je ne pense pas qu’il faille revenir aux mêmes méthodes aujourd’hui.
Si l’on suit l’actualité avec attention à Frévent, on arrive tout de même à prendre assez de recul pour se mettre la tête dans les nuages. Et si l’on se retrouve parfois au moyen âge, cela nous permet un retour en arrière où il est bon de se réfugier pour y trouver quelques réponses.

Hervé

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire