domaine de frévent

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vendredi 1 mai 2015

Dormez tranquille.



Température fraîche, pluie et vent, voici le menu météo du jour. De quoi vous rendre grognon pour toute la journée. Alors tant qu’à ronchonner un peu, autant que cela soit au sec, dans le bureau et confortablement assis devant son écran d’ordinateur. Je vais vous faire profiter de quelques brouillards bien sombres qui encombrent mon esprit depuis quelques temps et qu’il est préférable d’évacuer à présent.

Il y a quelques semaines, j’ai donc posé des détecteurs de fumée dans tous mes logements… Je ne critique pas leur mise en place qui, dans certain cas peuvent s’avérer utiles, mais je conteste le caractère obligatoire de cette mesure. Imposer ces appareils dans les cabanes, ne se justifie pas, puisque toute flamme y est strictement interdite et qu’il n’y a pas d’électricité. Mais une fois de plus, c’est inscrit dans une procédure, alors j’obéis, résigné, en gardant ma liberté de penser…

Je fais des trous au plafond, je pose le matériel (ça fait moche), tous les mois je contrôlerais son fonctionnement et tous les ans je changerais la pile… (dans chaque cabane aussi !).
Bientôt sans doute on m’obligera à en équiper toutes les pièces des habitations, pour une efficacité maximale. Puis viendra le tour des détecteurs de monoxyde de carbone, puis des extincteurs… On a déjà vécu l’exemple des gilets jaunes fluo dans chaque voiture, dont la quasi-totalité ne serviront jamais.


J’ai été contraint également d’installer une magnifique parabole blanche au-dessus de mon toit… j’en rêvais. La présence de cette antenne moderne sur mes vieilles tuiles est devenue indispensable pour l’utilisation d’internet. Car voyez-vous ici, près de Paris, nous n’avons pas droit à l’ADSL filaire et encore moins à la fibre optique. Nous sommes obligés d’avoir notre propre installation satellitaire pour obtenir un ‘haut débit’, très relatif, sur le Web.
Celui-ci existait déjà à Frévent, mais devait être modernisé par le remplacement du matériel qui améliore les performances. Je me suis donné six heures pour effectuer cette transition. Temps pendant lequel je ne recevrais plus vos messages.

Un jour où la météo est au beau fixe, je place les échelles sur le toit pour accéder au mat d’antenne. D’un pas décidé, je commence à gravir les barreaux. Au fur et à mesure de mon ascension je sens mes jambes flagellées et perdre de l’assurance. Arrivé en haut de l’échelle, un pied posé sur le faîtage, c’est avec les mains moites que je dépose l’ancienne installation qui a bien failli m’emporter avec elle dans sa descente au rebus. Je remonte ensuite avec la nouvelle, pourvu de protection blanche, étincelante et plus lourde que la précédente. Je la fixe, je la relie par un nouveau câble à mon nouveau modem, puis arrive la phase d’orientation de la parabole. Toujours en équilibre sur le toit et guidé par des bip-bip aigües à vous percer les tympans, j’aboutis enfin au réglage optimum.
Vient ensuite la procédure d’activation du nouvel abonnement…qui a bien du mal à trouver son terme. Soit… au bout de 24 heures, Internet marche bien avec un débit de compétition. Mon installation wifi est opérationnelle et les polonais en séjour dans les gîtes peuvent enfin l’utiliser pour dialoguer avec leur famille (skype). En conséquence, au bout d’une semaine, plus de débit, le quota d’abonnement mensuel a été épuisé.
Alors il me faut prendre un abonnement plus chère… mais toujours limité.

Comme vous pouvez le comprendre, mes amis, cela devient très difficile de vivre en campagne, et cela coûte de plus en plus chère. Il est vrai que les petits décideurs d’aujourd’hui, chargés de redistribuer les fonds publics sont de moins en moins familier à cet univers et sont plus préoccupés par le ratissage des électeurs que par la gestion du territoire qui pourtant fait partie intégrante des charges de l’état. Comme je suis le seul électeur à trois kilomètres à la ronde, ils ont fait le choix de me laisser tomber, de m’oublier, sachant bien que mon efficacité à me rebeller, si elle s’éveille, sera bien dérisoire et ne risquera pas de les ébranler.
Alors je dois me débrouiller tout seul. Car le jour où mes clients ne capteront plus internet à Frévent, ils ne viendront plus. Si personne ne vient plus ici, je serais contraint de partir aussi.

Que restera-t-il alors du petit morceau de campagne que je m’efforce de faire vivre actuellement ? Qui entretiendra les fossés, les allées, les points d’eau pour les animaux, les parcelles d’herbes grasses, les arbres pour en tirer du bois et les bâtiments pour écrire l’histoire ? Qui s’occupera de contingenter les animaux pour qu’une race ne prenne pas le dessus sur l’autre, de contenir les maladies, les parasites, les adventices pour qu’ils ne déciment pas leur victimes… jusqu’aux portes des cités. Qui animera ce petit espace de nature dans lequel il vous est si agréable de venir vous ressourcer ?

Les élus de la France, qui ne semblent plus être au commande de quoi que ce soit (si bien protégés par les procédures qui dictent leurs décisions), devraient prendre conscience qu’un pays, ce n’est pas uniquement des grandes métropoles où se trouvent un électorat et où on doit y concentrer par conséquent toutes les infrastructures de progrès. Un pays, c’est aussi un espace en 3D allant du Nord au Sud, d’Est en Ouest et du niveau de la mer au sommet des montagnes. Un relief que l’on doit utiliser en le rendant exploitable. Il faut donc y répartir des habitants, y entretenir la présence humaine… y maintenir la vie avec tous les impératifs que cela comporte.

Abandonner cette étendue en laissant des déserts médicaux s’installer, en supprimant les services administratifs et les équipements utiles à la vie actuelle, c’est inciter ses occupants à venir se réfugier dans les grandes villes. Si l’on regarde plus loin dans le temps, celles-ci seront à leur tour un jour aussi défavorisées et délaissées au profit d’une seule et grande métropole. Ce n’est pas ma conception de l’équilibre démographique d’un pays.
Son harmonie de vie ne peut en être qu’altérée. Je vous laisse en imaginer les conséquences.

Heureusement je suis là, pour trouver des solutions et me battre au maintien de ma présence et celle de ma famille, dans ce lieux, si proche de la capitale et pourtant déjà abandonné par la nation. Heureusement qu’il y a encore des gens comme moi, répartis ici et là, dissimulés derrière les arbres, les taillis, les collines pour qu’au bout de petites routes sinueuses et bucoliques à souhait, vous trouviez quelqu’un pour vous accueillir vous renseigner, ou plus sournoisement … vous égorger !
Ah non, ça c’est l’effet de la pluie qui vient de cesser de tomber sur le carreau de ma véranda. Le vent a balayé les nuages plus vite que prévu ce qui entraîne mon humeur gaillarde.

Ça va déjà mieux !

Hervé


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